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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

courait du champ à l’étable, de la cuisine au champ, de l’étable à la cuisine. Elle ne parlait pas sinon<br />

pour donner des ordres ou proférer des menaces. Ses enfants la craignaient. Le mari était<br />

littéralement esclave. Quand il partait le matin pour les travaux des champs, elle enfouissait dans la<br />

sacoche de toile, d’un air sévère, un maigre sandwich et une bouteille remplie d’eau. Un jour je<br />

surpris l’homme, l’œil aux aguets en train de farfouiller dans un bouquet d’orties. C’est là qu’il<br />

cachait la chopine de vin qu’il avait subrepticement tiré à la cave. J’étais totalement décontenancé.<br />

La première besogne qu’on me confia fut de décharger un chariot de foin. Le foin était humide et<br />

la tâche était d’autant plus ardue. Au bout d’un quart d’heure une violente migraine broyait mes<br />

tempes. Je titubais. Toutes les dix fourchées j’étais contraint de faire une pause. La dame me surprit<br />

lors d’une de ces pauses et me disputa. Je fus privé de soupe et ce soir–là je dus regagner la<br />

« chambre », où la nuit les souris festoyaient car la pièce servait aussi de dépôt de grain.<br />

Je ne savais à qui me plaindre. Je n’osais pas écrire à mes parents d’autant plus que la dame<br />

relisait mes lettres et cartes. Et puis avais–je le droit de me plaindre. Peut-être que tout cela était<br />

normal. Je m’étais lié très vite avec les voisins fermiers qui avaient des enfants sympathiques. Ils<br />

me regardaient avec des airs attendris. Souvent le soir, la dame me concédait une petite<br />

« récréation » avant d’aller dormir car on se lève tôt, quel que soit l’âge, chez les paysans<br />

besogneux et âpres au gain. Alors je bondissais chez les voisins où m’attendait une grosse part de<br />

tarte. Tarte qui permettait d’avaler moins tristement le grand bol de soupe. J’avais des habits troués,<br />

sales. J’appris que c’était la deuxième année que ces gens–là accueillaient un enfant. L’année<br />

précédente, l’enfant avait été le « chouchou » de la dame. Il avait été exempté de tous travaux,<br />

choyé comme un Jésus, brossé chaque matin, épouillé, lavé, coiffé. Un jour les voisins me dirent :<br />

« tu n’es pas bien ici il faut écrire à tes parents, nous posterons la lettre,ainsi elle n’en saura rien ».<br />

Aussitôt, ils me donnèrent une feuille de papier, une plume et j’écrivis une lettre dans laquelle je<br />

racontais ce que je vivais à mon père et à Mère 2. Deux jours à peine passèrent. Après le repas de<br />

midi, alors qu’ils s’apprêtaient à donner le signal du départ pour les champs, une petite auto s’arrêta<br />

devant le porche de la ferme. Un homme jeune, aux cheveux en brosse, à l’air souriant en descendit,<br />

et se dirigea vers la porte d’entrée. C’était l’inspecteur de la colonie de vacances. Après m’avoir<br />

gentiment tapoté la joue, il me pria de m’éloigner, de revenir lorsqu’il m’appellerait. Je m’éloignais<br />

de quelques mètres seulement. Je jouais avec des brindilles de bois, inquiet. Qu’allait–il se passer ?<br />

Dans la maison, l’inspecteur parlait très fort. La dame criait, elle aussi, très fort, mais sa voix<br />

dénonçait la peur. L’homme et sa belle–mère se taisaient. L’inspecteur réapparut sur le seuil. Il me<br />

fit signe de la main, je m’approchai. Il posa sa main sur mon épaule « mon garçon, tu ne vas pas<br />

rester ici. Ces gens–là ne sont pas des gens gentils. <strong>Les</strong> voisins m’ont fait savoir qu’ils sont prêts à<br />

t’accueillir jusqu’à la fin des vacances. Si tu es d’accord, je t’accompagne tout de suite chez eux. Tu<br />

n’auras rien à craindre. Ils t’aiment déjà beaucoup. »<br />

J’acquiesçai, après avoir demandé si mon père et Mère 2 avaient été consultés. Ils l’avaient été.<br />

Le cœur léger, ignorant les regards courroucés de la dame, j’emballais mes affaires et, conduit<br />

par l’inspecteur, je gagnais mon nouveau foyer. Il me restait un peu plus d’une semaine de vacances<br />

à vivre. Je vécus ce temps, dorloté, choyé. L’autre mégère, quand elle m’apercevait, tournait les<br />

talons ou s’éloignait précipitamment. Pourtant, un matin, son mari qui m’avait aperçu flânant près<br />

du champ où il ahanait, s’approcha de moi et, timidement, comme pour s’excuser, il murmura « ça<br />

n’est pas ma faute, moi je t’aime bien ». Je savais. C’était un faible mais pas un méchant homme. Je<br />

serrai la main qu’il me tendit. Il s’éloigna, l’épaule basse.<br />

Le jour où le car devait faire sa récolte de ferme en ferme approchait. J’étais sûr de retrouver<br />

mon petit rat de l’opéra. Je voulais lui faire un cadeau, un cadeau pas comme les autres, quelque<br />

chose de surprenant. Mais je ne savais quoi : un oiseau déniché dans son nid, un beau silex, un<br />

bouquet de fleurs des champs. Non, je désirais autre chose. Et c’est alors que la muse me visita, que<br />

l’inspiration me tomba sur les reins. J’étais assis en train de griffonner sur une feuille de papier.<br />

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