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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

jouer un rôle éminent non seulement dans les luttes du Maghreb mais aussi dans les combats du<br />

Tiers–monde. La revue s’appelait Souffles. Nous fûmes deux européens à avoir l’honneur de figurer<br />

au Comité de rédaction de cette revue : le poète Bernard Jakobiak et moi–même.<br />

Souffles luttait, culturellement, pour la reconquête de l’identité marocaine, dénaturée par la<br />

colonisation. Ses différents numéros exploraient le passé et le présent de l’héritage et de la création<br />

vivante du Maroc. Ceux qui allaient devenir les meilleurs écrivains marocains y collaborèrent :<br />

Tahar Ben Jelloun, Mostefa El Nissaboury, Khâtibi, Mohammed Khair-Eddine. Mais aussi des<br />

peintres, des philosophes, des économistes, des musicologues, des anthropologues. De numéro en<br />

numéro, Souffles divulguait un savoir remarquable, fertile. Certes, le peuple illettré était tenu à<br />

l’écart de ces richesses mais le premier objectif était de créer une classe d’intellectuels<br />

révolutionnaires dévoués à la cause du peuple. L’écriture des poètes était volcanique, torrentielle,<br />

solaire, insurgée. Elle brisait, humiliait les formes du lyrisme ancien sclérosé. Elle était<br />

annonciatrice d’aubes nouvelles, différentes, elle était porteuse de nouveaux contenus. Ces<br />

camarades vivaient dans la fièvre, la crainte qu’à tout instant la répression de la monarchie<br />

chérifienne ne s’abattit comme une foudre, sur eux. Ils parlaient une langue codée mais<br />

transparente. Ils exaltaient la marocanité mais du même coup ils devenaient universels, exemplaires.<br />

À tel point, qu’on les lût à des milliers de kilomètres de Marrakech et Rabat.<br />

Chaque numéro était un tremblement de terre, une coulée de laves en feu, une irruption de forêts<br />

barbares. Un « chant général » brassant les aubes prolétaires de Rabat et les anciennes légendes, le<br />

sous–développement et la fête des corps, le songe et la réalité cruelle, les ongles des femmes et les<br />

moignons des mendiants, le ciel et la toux sèche du poitrinaire, l’eau et les larmes, le sang et la<br />

semence du mâle…<br />

Longtemps, Souffles occupa habilement le terrain « culturel ». Puis, la situation exigea d’autres<br />

paroles. Le groupe se disloqua. Certains dont Latif devinrent marxistes–léninistes. La revue se mit<br />

au service de la révolution. Une métamorphose s’opéra dans l’écriture de Latif qui renonça à ce<br />

travail de sape pour annoncer les vérités simples, claires, urgentes. Au début des années 70 la<br />

répression s’abattit sur eux, comme prévu. Latif fut arrêté, torturé sauvagement, libéré, arrêté à<br />

nouveau et condamné à dix ans de prison pour « crime contre la sûreté de l’État ». Ayant subi, à<br />

maintes reprises, d’éprouvantes tortures, Latif se retrouva avec une santé chancelante. Il croupit<br />

toujours là bas dans sa geôle de Kenitra, résistant comme seuls savent résister les prisonniers qui<br />

savent pourquoi ils sont en prison, privés d’amour, d’<strong>amis</strong>, de papier, d’encre. Si tout va bien (!),<br />

s’il ne lui arrive pas malheur avant, Latif devrait être libéré au début des années 80. Alors, il<br />

retrouvera ses enfants qui ont grandi loin de lui, son épouse qui n’a cessé de l’accompagner dans<br />

son supplice avec une patience digne de louanges et un courage rarement rencontré. Mais la voix de<br />

Latif n’en a pas pour autant cessé de franchir les barreaux grâce notamment à son ami Ghislain<br />

Ripault qui a publié aux modestes «Inéditions Barbares» plusieurs inédits de lui dont les<br />

Chroniques de la Citadelle d’exil qui m’ont bouleversé quoique je ne sois d’aucune sorte un<br />

marxiste–léniniste.<br />

Mais cette année de Tanger, Latif n’était pas encore emprisonné. Je lui rendis visite. J’ai évoqué<br />

ces instants dans les premières pages de mon récit Joyeuse apocalypse ainsi que l’étonnante<br />

aventure qu’il m’arriva dans le car qui m’emportait de Tanger à Rabat, brinquebalant le long des<br />

chemins : une étonnante nuit de caresses avec une inconnue que le hasard avait placée à mes côtés.<br />

C’était la seule femme présente dans ce car peuplé de paysans chargés de fardeaux divers. Étrange<br />

nuit dont la nostalgie m’habite toujours. Une histoire d’amour sans sexe, sans paroles, rien que<br />

l’aveu, la folie des doigts, des bouches…<br />

Je vécus des heures inoubliables en compagnie de Nissaboury, mon cher « Nissa », de Latif, de<br />

Jocelyne sa compagne, de peintres dont les noms m’échappent à cet instant, mais je ne saurais<br />

oublier leurs figures, leurs voix.<br />

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