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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

qui s’ensuivirent.<br />

La violence qui opposait les deux camps nationalistes m’épouvantait. Nous retombions dans le<br />

fanatisme. <strong>Les</strong> individus perdaient la tête. Ils creusaient leur propre tombe.<br />

Je m’occupais particulièrement du passage des insoumis à l’étranger. En relation avec des<br />

pasteurs protestants suisses. <strong>Les</strong> insoumis ne furent jamais foule, mais pour l’honneur de la vraie<br />

France, il y en eut plusieurs milliers. Je me chargeais de leur trouver domicile, emploi, papiers<br />

légaux, dans les pays environnants. Il m’arriva même de prendre en charge un jeune homme qui<br />

était membre d’une organisation secrète « Algérie française ». Je ne sais trop pourquoi, ce jeune<br />

homme avait été rejeté de l’organisation, condamné à mort. Paniqué, de fil en aiguille, il avait atterri<br />

entre mes bras. J’eus une longue discussion nocturne avec lui. À l’aube, il s’était rendu à mes<br />

arguments. Il avait réalisé de quel fantasmes, lectures racistes, il avait été le jouet. Je le fis passer en<br />

Suisse. Je ne sus jamais ce qu’il advint de lui.<br />

Je publiais des articles dans la revue Esprit. Si les staliniens se faisaient complices des assassins<br />

– n’allaient–ils pas voter les pleins pouvoirs au gouvernement de Guy Mollet, ce digne héritier du<br />

social–démocrate allemand Noske qui avait accepté, complice des junkers et des corps Francs<br />

d’être le « chien sanglant » – les chrétiens de gauche avec Jean-Marie Domenach,Paul Ricœur,<br />

Casamayor et d’autres, dénonçaient les tortures, la violence insupportable faite au peuple algérien.<br />

Je vivais alors dans un bain de sang. Chaque jour m’apprenait la mort d’un homme ou d’une femme<br />

que je connaissais, avec qui j’avais échangé paroles, songes, révoltes. Un matin c’était un ami du<br />

MNA exécuté peut–être par un ami membre du FLN. C’était un camarade tombé au sommet d’un<br />

djebel. C’était un autre poignardé dans une rue d’Alger. <strong>Les</strong> communistes incitaient leurs jeunes<br />

<strong>amis</strong> à partir à la guerre, à agir démocratiquement. Comme s’il était possible d’agir, une fois la<br />

Méditerranée franchie.<br />

C’était atroce, ignoble. Ma haine contre ce Parti grandissait à vue d’œil. Le mot de<br />

« communiste » je le revendiquais pour nous, mes compagnons et moi. Il était souillé par Thorez et<br />

sa clique. <strong>Les</strong> assassins – cartes SFIO en poche – occupaient les fauteuils du gouvernement. Ces<br />

hommes grassouillets, boursouflés de plis de chair, aux paupières lourdes incarnaient la France<br />

officielle. J’étais fier d’appartenir à une autre France. À vrai dire la France hexagonale je m’en<br />

foutais royalement (Que me pardonnent les mânes de Mistral et de Maurras !). La pourriture, la<br />

lâcheté, la veulerie, l’intrigue, l’aveuglement triomphaient partout. C’est dans cet état d’esprit que<br />

je fis connaissance de l’équipe d’Exigence. C’était une revue rédigée par un noyau déjeunes gens<br />

romantiques, quelque peu libertins, marqués par la lecture de Roger Vailland et des moralistes du<br />

XVIII e siècle. Au comité de rédaction figuraient François Bott – qui devait, dix ans plus tard,<br />

devenir un de mes <strong>amis</strong> les plus chers, et que j’allais retrouver à la rédaction du Monde à la veille de<br />

Mai 68 –, Gael, un de ses cousins, dandy du désespoir qui accepta de partir sur un djebel pour<br />

connaître une expérience différente, des émotions fortes. Gael était un étrange personnage, en proie<br />

au néant des choses et qui masquait sa détresse derrière une ironie froide, des gestes de défi<br />

aristocratique. Il devait crever sur un de ces djebels qui ne s’appelait pas Amour mais Absurde.<br />

J’imagine sa mort, les yeux crevés par la lumière « de Midi le juste ». Une sorte d’abandon, une<br />

curieuse douceur qui s’infiltre dans la poitrine surchauffée. Il y avait encore Dominique Eudes à qui<br />

l’on doit un remarquable ouvrage consacré à la résistance antifasciste grecque, Bernard Thomas<br />

pour qui la lutte continue dans les colonnes du Canard enchaîné.<br />

Je revenais alors du Portugal où je m’étais rendu à l’appel de la fiancée de Herminio Marvao,<br />

leader de la jeunesse démocratique. Herminio avait été arrêté, atrocement torturé. Il se mourait dans<br />

sa geôle proche de Lisbonne. Sa fiancée avait désespérément tenté d’alerter l’opinion publique<br />

internationale, cette chose floue, changeante, contradictoire. Je ne sais trop par quel canal son appel<br />

me parvint. Je décidai de me rendre clandestinement au Portugal. Je le lui fis savoir. Elle organisa<br />

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