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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

DE LA FRENESIE EN AMOUR ET EN TOUTES CHOSES<br />

En ce temps–là les réunions quasi quotidiennes du groupe surréaliste avaient lieu au Palais-<br />

Royal, dans un café nommé Le Musset. C’était un café plutôt élégant avec de grandes glaces<br />

scintillantes. Je n’allais pas tarder à comprendre l’importance des glaces dans l’existence réelle et<br />

rêveuse de Breton. Quand j’entrai dans Le Musset, ce jour–là à six heures du soir, il n’y avait encore<br />

que trois ou quatre personnes dont Benayoun et Legrand que je connaissais un peu. Je pris place à la<br />

table, timide et silencieux. J’écoutais les autres évoquer diverses questions, la préparation d’une<br />

exposition surréaliste à l’étranger, la rédaction d’un tract. Enfin, Breton arriva. J’étais plus à mon<br />

aise. Il me salua, me félicita d’être venu. Breton prit place de telle sorte qu’il pouvait de sa chaise<br />

apercevoir avant d’être vu les personnes qui pénétraient dans le café. Jean Schuster entra à son tour,<br />

il occupa la chaise près de Breton. C’était, j’allais au fil des jours m’en rendre compte, une habitude<br />

de « droit ». Schuster était quelque chose comme le « lieutenant », le « bras droit » de Breton. Puis<br />

arrivèrent l’aristocratique et élégant André Pieyre de Mandiargues accompagné de son épouse à la<br />

« beauté du diable », la peintre Bona, Nora Mitrani, magnifique comme une flamme courbe, qui<br />

devait mourir prématurément, Joyce Mansour à la chevelure sombre de sorcière, Jean-Pierre Duprey<br />

le poète fabuleux de Derrière mon double, qui se tenait tout serré contre sa femme Jacqueline,<br />

Benjamin Péret, échappé de son humble labeur de correcteur d’imprimerie, le défi permanent sur les<br />

lèvres, Sarane Alexandrian, Toyen la secrète aux pervers enchantements graphiques, Georges<br />

Goldfayn cinéphile fanatique tout comme Legrand et Benayoun avec lesquels il allait bientôt<br />

animer une revue L’âge du cinéma dont les rares et précieux numéros sont encore aujourd’hui<br />

recherchés avidement par les amateurs. D’autres encore rejoignirent la table : des jeunes gens, des<br />

jeunes filles pour la plupart qui avaient, comme tant d’autres jeunes gens et jeunes filles depuis les<br />

années 20, entendu l’appel ardent de Breton, l’appel à la sédition, à la guerre sainte contre les ruines<br />

du vieux monde.<br />

Est–ce ce jour là que je vis pour la première fois Octavio Paz ? Le poète mexicain, alors en poste<br />

diplomatique à Paris qu’il devait quitter pour l’Orient, admirait profondément Breton. Indépendant<br />

certes, il se savait lié aux objectifs essentiels du Surréalisme. Il apportait au sein de cette assemblée<br />

une coloration unique, une violence faite de terre et de ciel, d’épines et de pierre. Il apportait la<br />

mémoire indienne, les échos d’un Sacré enfoui sous les masques des Temples du Yucatan. J’aimais<br />

aussitôt son beau visage superbement sculpté, son regard d’une profondeur vertigineuse, sa parole<br />

lente, trouant l’obscurité comme une racine de céréale fécondée par le soleil implacable. Octavio<br />

Paz mûrissait en silence ce très beau labyrinthe de la solitude qui devait nous ouvrir à tous des<br />

chemins inespérés.<br />

Mais c’est très certainement ce jour–là que je devais rencontrer pour la première fois un être qui<br />

allait me marquer en profondeur, un être auquel j’allais, en dépit de nos singularités ou plutôt grâce<br />

à elles, être lié jusqu’à sa mort prématurée. Jacques S. me fascina d’emblée. Je peux même dire<br />

qu’il m’inquiéta. C’était un jeune homme de fièvre absolue. Je devinais aussitôt que tout son corps<br />

n’était qu’une électricité concentrée, source de douleur. Son regard avait quelque chose d’halluciné,<br />

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