LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude
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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />
cou. Dans l’ombre de la cour, blafarde, luisait sinistrement la lame impitoyable. L’homme était<br />
emporté, presque soulevé de terre par les bourreaux attentionnés. Un éclair, une tête roulait dans le<br />
panier plein de sciure. Il paraît qu’une tête souffre humainement plusieurs secondes après avoir été<br />
tranchée. À quelques centaines de mètres, au delà des hauts murs, la « vox populi » dormait sur ses<br />
deux oreilles.<br />
Ce qui devait fatalement arriver arriva. Je fus arrêté un lundi à six heures du soir dans un café de<br />
la Place de la Bastille. J’avais rendez–vous avec une jeune fille qui appartenait à mon réseau. Cette<br />
jeune fille, Hélène, élevait seule un petit garçon de deux ans. Nous avions couché deux ou trois fois<br />
ensemble. Elle avait milité au Parti communiste qu’elle avait quitté, écœurée par le comportement<br />
de ce Parti face à la guerre. Elle était très active, très prudente. Mais cette prudence ne l’avait pas<br />
empêchée d’attirer sur elle le regard de la police. Très vite soupçonnée de se livrer à des activités<br />
répréhensibles, elle était « filée » depuis plusieurs semaines, en permanence. Sans le vouloir elle<br />
avait guidé jusqu’à moi les flics. L’arrestation attira à peine l’attention de quelques consommateurs.<br />
Ces messieurs – ils étaient deux – me prièrent à voix douce de bien vouloir les suivre. J’eus la<br />
tentation d’essayer de fuir mais je craignais en agissant de la sorte de compliquer le sort d’Hélène.<br />
Je suivis donc les policiers. Hélène fut retenue quelques jours mais comme aucune preuve formelle<br />
de sa culpabilité ne put être fournie, elle fut en fin de compte relâchée. Il n’en allait pas de même<br />
pour moi. Ces messieurs possédait un volumineux dossier me concernant, un dossier qui témoignait<br />
irréfutablement de mes activités.<br />
Deux jours auparavant, ils avaient arrêté un camarade chez qui j’avais logé plusieurs semaines.<br />
J’avais laissé chez lui soigneusement – du moins je le pensais – cachés au fond d’une cave, des<br />
papiers compromettants. <strong>Les</strong> policiers au terme d’une fouille minutieuse avaient découvert ces<br />
papiers. La nouvelle de l’arrestation de notre camarade avait été connue trop tard pour qu’on puisse<br />
me prévenir à temps. Mon nomadisme rendait plus difficiles les contacts.<br />
Allait commencer pour moi une sombre et dure période dont je garde encore dans ma chair les<br />
marques. Je subis de multiples interrogatoires. On exigea de moi les noms LES NOMS des<br />
membres du réseau, tous LES NOMS. Je refusais de parler. J’avais peur, mais je refusais de<br />
dénoncer mes <strong>amis</strong>. Je fus insulté, menacé, frappé. <strong>Les</strong> interrogatoires succédaient aux<br />
interrogatoires. Au bout de deux jours, j’étais épuisé. C’était comme dans les romans policiers que<br />
j’avais lus : la lampe dans les yeux, la face du flic penchée au–dessus de moi. <strong>Les</strong> éternelles,<br />
lancinantes et mêmes questions : qui est Paul, qui est Marco, qui est Jeanne ? Je serrais les dents.<br />
Alors, fous de rage, ils me cognaient dessus : la tête, le ventre, les épaules, le dos.<br />
J’avouais de faux renseignements quand je n’en pouvais plus. Je songeais que dehors peut–être il<br />
faisait beau. Je me souvenais d’un visage de femme que j’avais autrefois aimée. DES AVEUX ils<br />
voulaient DES AVEUX. Mais avouer quoi ? Ils savaient qui j’étais : un ennemi de l’ordre qu’ils<br />
défendaient à coups de revolver, à coup de poings, à coup d’insultes. Avouer quoi ? Ce qu’ils<br />
savaient déjà ? Pour le reste je ne savais rien, je ne connaissais ni Paul, ni Marco ni Jeanne.<br />
Je voyais que dans leurs yeux le désir de tuer brillait rageusement. Mais un cadavre, n’est–ce<br />
pas, ne peut pas faire des aveux !<br />
J’avais mal partout. Le sommeil fermait mes paupières. Ils me réveillaient brutalement. « On<br />
repart à zéro » disaient–ils alors avec une lueur de sadisme dans le regard. Qui est Paul, qui est<br />
Marco, qui est Jeanne ? Et les autres, nous voulons les noms des autres. Ils voyaient en moi un<br />
dangereux terroriste. Ils me soupçonnaient d’avoir commis des attentats, d’avoir posé des bombes.<br />
La nuit, dans ma cellule, les cauchemars m’accablaient. J’entendais toujours leurs voix terrifiantes,<br />
je voyais leurs faces rouges de fureur qui voltigeaient autour de ma tête douloureuse.<br />
Ils n’obtinrent rien de moi sinon une profession de foi révolutionnaire. J’apprenais à avoir peur<br />
et à vivre avec ma peur sans y succomber.<br />
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