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LIBERTE COULEUR D'HOMME - Les amis d'André Laude

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LIBERTÉ Couleur D’HOMME<br />

Budapest demeure une plaie au flanc du mouvement révolutionnaire authentique.<br />

La gauche traditionnelle s’opposait mollement à la sale guerre. L’infime minorité qui s’y<br />

opposait ouvertement devait faire face à toutes sortes de menaces. <strong>Les</strong> exécutions à la guillotine de<br />

militants algériens se multipliaient. <strong>Les</strong> cercueils contenant les dépouilles des jeunes soldats<br />

« morts pour la France », dans les Aurès et ailleurs, étaient discrètement acheminées vers les<br />

domiciles des familles. Des jeunes hommes qui n’étaient pas nativement des monstres apprenaient à<br />

torturer, étaient témoins de séances de torture. De telles pratiques avilissaient une large fraction de<br />

la jeunesse. Celle-ci, à l’école de l’horreur, apprenait qu’une vie humaine ne pèse pas lourd. Qu’estce<br />

qu’un homme ? un tas de viande, d’os. Si l’homme n’est rien tuer des hommes n’est pas un<br />

crime. Dans la France quadrillée par les polices, livrée aux brutales vérifications d’identité, les<br />

Algériens, y compris ceux qui n’étaient pas directement impliqués dans la lutte pour<br />

l’indépendance, pouvaient à tout instant crever d’une balle perdue, des suites d’une bavure. <strong>Les</strong><br />

Français continuaient, dans leur grande masse, à vivre comme si de rien n’était. <strong>Les</strong> cinéastes<br />

faisaient des films, les écrivains écrivaient des romans qu’ils venaient commenter sur les ondes des<br />

radios et les écrans télévisés, les hommes d’affaires faisaient des affaires, les salauds ne chômaient<br />

pas, les politiciens organisaient le malheur collectif. L’exécuteur des hautes œuvres promenait de<br />

prison en prison sa sinistre machine.<br />

Je me battais du mieux possible, mais j’étais déchiré, épuisé. Je profitais alors d’une occasion<br />

pour faire un voyage à New–York et San Francisco. Je restais deux semaines loin du cloaque. Je<br />

découvris durant ces quelques journées d’autres réalités, terribles elles aussi : les épaves du Bowery,<br />

la misère du ghetto porto–ricain, la violence à Harlem. L’Amérique m’avait depuis toujours fasciné.<br />

Fou de cinéma j’avais vu tous les westerns, chefs–d’œuvre ou navets. Dès la première image, un<br />

cavalier lointain dans un nuage de poussière galopant vers une petite ville traversée par les<br />

troupeaux, je m’éveillais autre. Ce pays, qui par le travail et la prière, la volonté et la croyance<br />

absolue en son destin, s’était hissé au premier rang des nations capitalistes se dévoilait à mes yeux :<br />

un fantastique patchwork où se côtoyaient le saint et la brute, le poète et le milliardaire, la splendeur<br />

de certains paysages et la laideur de certains quartiers où s’entassaient les déshérités, les sans–<br />

lumière, la mort et la puissance vitale, la cruauté impitoyable et la générosité la plus étonnante.<br />

Je déchiffrais passionnément ce pays que les pères fondateurs avaient créé sur les dépouilles de<br />

l’indien. Je parcourais New York qui n’était qu’une succession de cités imbriquées les unes dans les<br />

autres : New York des Juifs, New York des Chinois, New York des Chicanos, New York des nègres,<br />

New York des riches, New York des dépossédés…<br />

Écrasé par la masse des gratte–ciel, des gigantesques buildings, j’apprivoisais le New York des<br />

solitudes. Ici l’homme qui trébuchait, tombait d’épuisement, de lassitude face à l’interminable<br />

struggle for life était un homme perdu.<br />

Pays mirage pour tous ceux qui voguèrent vers lui, après avoir échappé de la Russie à<br />

l’Allemagne, de la Grèce à l’Espagne aux sévices, à la faim, à la pouillerie, aux cachots. Pays–<br />

cauchemar pour tous ceux qui ayant enfin franchi les portes de la terre promise retournaient à la<br />

pouillerie, à la faim, aux cachots.<br />

Pays qu’un Européen ne pouvait aborder qu’avec haine et amour mêlés. L’Amérique de<br />

Whitman était aussi l’Amérique de la Guerre de Corée, l’Amérique de la bombe atomique lancée<br />

sur Hiroshima et Nagasaki, l’Amérique qui protégeait de son aile d’acier les sanglantes dictatures<br />

d’Amérique Latine. L’Amérique de Whitman était aussi l’Amérique du Ku–Klux–Klan, de la<br />

Mafia, du Syndicat du crime. L’Amérique des sympathiques « privés » de Chandler et Hammet était<br />

aussi l’Amérique des assassins légaux, installés dans de vastes bureaux modernes. L’Amérique de la<br />

Bible était aussi l’Amérique du revolver.<br />

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