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Les yeux de Leilan

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La mystérieuse matière se leva du sol en vagues. Certaines parties, toutes en ondulation,<br />

remontèrent sur les danseuses. Elles entrelacèrent leurs attitu<strong>de</strong>s. <strong>Les</strong> pas étaient<br />

maintenant accompagnés <strong>de</strong> ces bracelets, <strong>de</strong> ces rubans, <strong>de</strong> ces voiles, <strong>de</strong> ces ailes vivantes<br />

se déformant et se découpant au gré <strong>de</strong> la lumière vespérale et <strong>de</strong> la musique du nain.<br />

Ce corps à corps enchanteur emportait tous les esprits au fur et à mesure que le rythme<br />

s’enflammait. <strong>Les</strong> tours s’accéléraient, les fondus et les frappés s’enchaînaient. La créature<br />

acceptait les moindres désirs du chant et <strong>de</strong>s gestes. Elle sautait, tourbillonnait, arrêtait<br />

violemment la passion du mouvement ou se faisait caresse. Suivant un élan <strong>de</strong>s bras vers le<br />

plafond et <strong>de</strong>s sons pénétrants, elle s’élança vers les fresques comme un jet et retomba en<br />

fontaine pour jaillir <strong>de</strong> nouveau. Elle envahissait peu à peu la pièce, s’étirant comme un fin<br />

voilage, se déchirant comme <strong>de</strong> la <strong>de</strong>ntelle dans une féerie <strong>de</strong> reflets qui émerveillait<br />

l’assistance. Comme si le vent du <strong>de</strong>hors avait envahi la pièce, cette fabuleuse draperie<br />

flottait dans les airs.<br />

L’amalyse se donnait tout entière aux sentiments <strong>de</strong> ses dirigeantes. Elle en avait oublié<br />

sa nature et volait en lanières autour <strong>de</strong> chacune <strong>de</strong>s danseuses tournant à une ca<strong>de</strong>nce<br />

effrénée. Elle était l’être le plus envoûté <strong>de</strong> la salle. Ce fut en signe <strong>de</strong> protestation qu’elle<br />

fonça lorsque la magie s’arrêta, lorsque le chant et le murmure <strong>de</strong>s bracelets d’or moururent.<br />

Elle se répandit sur le dallage comme pour se reposer <strong>de</strong> la douceur démesurée qu’elle avait<br />

éprouvée.<br />

Personne ne bougeait, l’admiration figeait tous les regards. Ce spectacle, si inattendu,<br />

avait été si fantastique ! Peut-être que les esprits prirent soudain conscience que l’inhabituel<br />

<strong>de</strong> cette représentation avait quelque chose <strong>de</strong> dangereux. Peut-être que l’angoisse du soir<br />

s’insinuait en eux ou alors que leurs applaudissements ne pouvaient en rien exprimer leurs<br />

émotions. En tous cas, le charme continua d’opérer dans un profond silence.<br />

Une <strong>de</strong>s danseuses s’avança vers le souverain. Elle s’arrêta <strong>de</strong>vant les marches mais ne le<br />

salua pas. Elle restait <strong>de</strong>bout, immobile, le visage dressé vers Sa Majesté.<br />

Éléa regardait son père. Cet homme qu’elle avait haï pendant tant d’années. Elle ne<br />

savait plus quel sentiment avoir à son égard. De l’amour ? Non. Quand elle voyait dans quelle<br />

richesse il vivait, indifférent, caché du malheur <strong>de</strong> son peuple, elle ne pouvait pas l’aimer.<br />

Elle avait du mal à concevoir qu’il ne soit pour rien dans les agissements <strong>de</strong> Korta ! De la<br />

pitié pouvait serrer son cœur. Si tout ce que Jerry avait dit était vrai, le souverain <strong>de</strong>vait<br />

même être à plaindre. Mais son manque <strong>de</strong> caractère, sa soumission aux autres blessaient<br />

Éléa. Elle, si déterminée, comment pouvait-elle avoir un père aussi faible et inactif ? ! Il<br />

restait finalement méprisable, indigne d’être roi.<br />

Elle avait préparé un discours mais, face à lui, elle oublia les leçons <strong>de</strong> Jerry et ses<br />

promesses. Elle ne se rendait compte ni <strong>de</strong> ce qui l’entourait, ni du nombre <strong>de</strong> personnes qui<br />

la regardait. Pour la première fois <strong>de</strong> sa vie, elle était <strong>de</strong>vant son père et une seule question<br />

sortit <strong>de</strong> sa bouche :<br />

— Pourquoi vos filles, par <strong>de</strong>s voiles, payent-elles <strong>de</strong>s crimes qu’elles n’ont pas commis ?

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