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Les yeux de Leilan

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dictées, ne pouvait les effacer, il ne pouvait que les exécuter.<br />

Il avait les <strong>yeux</strong> dans le vi<strong>de</strong>. Son anéantissement était total. Ce Masque avait raison. Ses<br />

filles payaient <strong>de</strong>s crimes qu’elles n’avaient pas commis et lui, malgré sa couronne, ne<br />

pouvait rendre justice. C’était lui l’être immon<strong>de</strong>, pas celui qui avait emmené son troisième<br />

enfant.<br />

Il revoyait, malgré les années passées, le visage <strong>de</strong> celle qu’il n’avait jamais cessé<br />

d’aimer. Sa reine, sa vie s’était enfuie <strong>de</strong> ces Mon<strong>de</strong>s. Peut-être avait-elle cru qu’il était<br />

l’auteur du massacre <strong>de</strong>s nouveau-nés ? Il avait bien eu le premier geste <strong>de</strong> violence sur<br />

Éléa.<br />

Ses <strong>yeux</strong> gris cendre laissèrent échapper une larme sur sa joue soudain ridée.<br />

Deux chariots quittaient le palais, les trente enfants d’Éa<strong>de</strong>, recouverts d’une toile <strong>de</strong><br />

jute, s’étaient plaqués sur leurs planchers et les artistes récemment enfermés s’éclipsaient<br />

aussi avec soulagement.<br />

Aucun gar<strong>de</strong> n’arrêtait leur progression dans la basse cour : les cinq surveillant les écuries<br />

et les dix en faction <strong>de</strong>vant les chariots avaient été maîtrisés par Erwan. Son corsouflet<br />

n’était pas seulement un instrument <strong>de</strong> musique. Au moyen <strong>de</strong> petites pointes enrobées<br />

d’une substance endormante <strong>de</strong> son cru, l’Akalien l’employait aussi comme arme<br />

neutralisante. <strong>Les</strong> soldats <strong>de</strong> la passerelle ne s’occupaient pas d’eux. Concentrés sur les<br />

bourrasques <strong>de</strong> plus en plus violentes sur le pont, ils regardaient vers l’extérieur et n’avaient<br />

pas remarqué leurs manigances dans la cour. En toute logique, les sariclès n’avaient pas<br />

regagné leur poste, et la liberté allait sourire aux enfants d’Éa<strong>de</strong> et à leurs sauveurs.<br />

Cachés <strong>de</strong>rrière un poteau <strong>de</strong> l’écurie, <strong>de</strong>s <strong>yeux</strong> fins et excessivement tirés en aman<strong>de</strong> les<br />

regardaient dépasser la passerelle et s’enfuir dans le vent, <strong>de</strong>vant les gar<strong>de</strong>s sans réaction.<br />

L’espion se leva. C’était un petit garçon d’environ huit ans. <strong>Les</strong> épreuves <strong>de</strong> son enfance lui<br />

avaient appris la dureté <strong>de</strong> la vie mais son esprit précocement vieilli se dissimulait <strong>de</strong>rrière<br />

un visage mutin, renforcé par l’irrégularité <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux grosses incisives. Un petit livre<br />

dépassait <strong>de</strong> la poche arrière <strong>de</strong> son pantalon.<br />

Avec pru<strong>de</strong>nce, il regagna la gran<strong>de</strong> cour d’honneur éclairée seulement par quelques<br />

sour<strong>de</strong>s flammes dans <strong>de</strong>s torchères en fer. Puis, il s’élança vers le perron d’une galerie. Il ne<br />

savait pas où se trouvait la salle du trône, mais il se dirigeait dans la direction la plus<br />

logique : le sommet du donjon. Il prenait tous les escaliers qui montaient. Ses grossiers<br />

souliers s’enfonçaient dans l’épaisseur <strong>de</strong>s tapis. <strong>Les</strong> gran<strong>de</strong>s arca<strong>de</strong>s semblaient se courber<br />

sur ce petit bout d’homme intimidé. Il était si étranger à ces lieux avec sa frange brune trop<br />

longue et son pantalon troué au genou.<br />

En chemin, un son lui glaça soudain le dos : un bruit <strong>de</strong> corne s’entendait au loin dans la<br />

capitale. Oubliant sa réserve, il se mit à courir dans les escaliers. Il s’étala <strong>de</strong> tout son long<br />

mais se releva sans y prêter attention. Il avait désobéi en ne s’enfuyant pas avec les autres.<br />

Le signal allait faire partir le Masque : il allait se retrouver seul dans le château !<br />

L’angoisse le prenait au fur et à mesure qu’il tournait dans les galeries interminables du<br />

palais. Il réalisait son erreur. Il n’arrivait pas à trouver son chemin. Il avait peur. Sur les<br />

tapisseries, <strong>de</strong> terribles créatures se mirent à effrayer sa trop gran<strong>de</strong> imagination. Elles le<br />

fixaient, l’épiaient, prêtes à lui sauter <strong>de</strong>ssus ! Il s’enfuit du couloir et en prit un autre. Il<br />

ferma les <strong>yeux</strong> pour retrouver son courage et revenir à la réalité. Le palais était trop grand !<br />

<strong>Les</strong> galeries se ressemblaient toutes, les peintures représentaient pour lui toujours les

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