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Les yeux de Leilan

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— Ce sont les <strong>de</strong>rnières…<br />

Elle vérifia en enfonçant ses naseaux bruyants jusqu’au fond du sac. Et <strong>de</strong>vant l’évi<strong>de</strong>nce,<br />

elle le secoua <strong>de</strong> mécontentement. Et toutes celles promises, alors ?<br />

— À la première auberge, tu auras les autres, assura son maître en souriant. Ai-je<br />

manqué à ma parole une seule fois ?<br />

Elle souffla et, dépitée, partit brouter. Mais lorsqu’il la brossa avec <strong>de</strong>s branches <strong>de</strong><br />

bruyère trouvées plus loin, elle passa gentiment son nez dans son cou.<br />

Axel ne fit pas autant <strong>de</strong> frais pour sa propre toilette. Il se contenta d’un débarbouillage<br />

expéditif et se déchaussa avec plaisir avant d’en arriver à l’essentiel : manger. Il avait vu<br />

juste question vivres, il ne lui restait plus qu’un fond <strong>de</strong> farine à gruau, et une miche <strong>de</strong> pain.<br />

Il aurait mieux valu qu’il retourne vers un village, mais il n’arrivait pas à s’y résoudre.<br />

Il avait allumé un petit feu et s’était fait un matelas avec une couverture et le tapis<br />

d’aiguilles <strong>de</strong> pin couvrant le sol. Le coin était vraiment parfait. Il se sentait en sécurité. La<br />

fatigue le berçait déjà. Même si l’après-midi ne faisait que commencer, il était prêt pour cette<br />

nuit agréable à la belle étoile dont il avait rêvé ces <strong>de</strong>rniers jours. Il avait tout prévu. Tout,<br />

sauf la pluie. À sa <strong>de</strong>rnière bouchée, il reçut la première goutte sur le nez. Il leva les <strong>yeux</strong> au<br />

ciel tandis que Nis couchait les oreilles.<br />

— Je ne pouvais pas <strong>de</strong>viner ! Il n’y avait pas un nuage à l’horizon !<br />

La jument se posta sous un arbre en fouaillant <strong>de</strong> la queue tandis que le pavallois se<br />

cachait entre les branches.<br />

— Nous allons retourner vers un village… Je crois que je n’ai plus le choix… Mais laissemoi<br />

faire une sieste.<br />

Nis tourna la tête avec une mine sceptique. Pour les carottes, elle pouvait le croire, mais<br />

pas pour le village. Elle laissa Axel lui étendre sa toile huilée sur le dos et le regarda en<br />

placer une autre sur ses sacs. Elle renâcla quand il partit s’enrouler dans une couverture et<br />

sous une chape <strong>de</strong> pluie. Un orage pouvait bien déferler, il était décidé à dormir ici et<br />

maintenant.<br />

Axel avait connu pire ces <strong>de</strong>rniers temps et, au moins, l’atmosphère ne sentait pas le<br />

moisi d’une chambre d’auberge délabrée. Sa paillasse avait juste un parfum <strong>de</strong> terre et<br />

d’aiguilles <strong>de</strong> pin, rehaussé par l’humidité <strong>de</strong> la pluie.<br />

En pensant aux o<strong>de</strong>urs, celle <strong>de</strong>s Brumes Infernales revint hanter ses poumons. Ou plutôt<br />

celle <strong>de</strong>s grands reptiles, amère et piquante. Axel se frotta le nez et se tourna. Cette<br />

puanteur restait accrochée à lui. Il se reprocha <strong>de</strong> ne pas avoir lavé ses affaires correctement<br />

mais il était trop fatigué pour arranger les choses. Il préféra se retourner. Ce relent <strong>de</strong> mort<br />

persistant lui remit en mémoire sa peur absur<strong>de</strong> au moment <strong>de</strong> franchir la frontière, son<br />

attirance après l’avoir passée. En y réfléchissant, il avait eu l’impression d’être au centre d’un<br />

conflit entre Divinités Contraires. Ses sourcils se froncèrent ; il était vraiment fatigué. L’Esprit<br />

du Mal était enterré, il ne se réveillerait pas. <strong>Les</strong> prédictions <strong>de</strong> son père lui montaient à la<br />

tête. Il s’obligea à fermer les <strong>yeux</strong>.<br />

La pluie était fine et coulait à peine <strong>de</strong>s feuilles et <strong>de</strong>s aiguilles. Elle s’arrêta au coucher<br />

du soleil. Sa besace lui servant d’oreiller, ses armes auprès <strong>de</strong> lui, Axel ne se rendit même<br />

pas compte qu’il enchaînait sa sieste d’une nuit <strong>de</strong> sommeil. Il manqua son premier lever <strong>de</strong><br />

lunes. Dans le pays <strong>de</strong>s Illusions, un reflet mystérieux accompagnait le véritable croissant<br />

lunaire. Et cette nuit-là, l’astre laiteux et son double imaginaire faisaient penser à <strong>de</strong>s <strong>yeux</strong><br />

divins mi-clos observant attentivement ce petit pays du Mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’Est ainsi que le jeune

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