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Les yeux de Leilan

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Éléa n’était pas mort-née ! C’était impossible !<br />

Le monstre le maîtrisa très vite avec une force démentielle et lui arracha sa fille <strong>de</strong>s<br />

mains. La reine pleurait et essayait <strong>de</strong> ramper sur son lit pour porter secours à son bébé. Le<br />

désespoir l’avait envahie : son mari voulait tuer le fruit <strong>de</strong> leur amour et un monstre essayait<br />

maintenant <strong>de</strong> le lui ravir.<br />

Le brusque souvenir <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> sa femme déchirait les oreilles du roi et emplissait sa tête<br />

dans un bourdonnement qui le rendait fou <strong>de</strong> douleur.<br />

La nourrice, recroquevillée dans un coin <strong>de</strong> la pièce, regardait la scène horrifiée, les mains<br />

et ses cheveux noirs sur le visage. Le monstre jeta l’enfant mort dans le berceau <strong>de</strong> la<br />

princesse et prit celle-ci hurlante sous le bras. Juste avant <strong>de</strong> disparaître dans le même<br />

éclair, la bête se retourna et lui déclara brutalement en découvrant <strong>de</strong>s crocs luisants :<br />

— Tu te souviendras <strong>de</strong> la couleur <strong>de</strong> cette nuit.<br />

Le roi tremblait sur son trône. Il comprenait soudain tout ce qui s’était passé ensuite.<br />

Jusqu’à présent, il ne s’était rappelé ce soir-là que <strong>de</strong>s gestes <strong>de</strong> la nourrice. Elle s’était<br />

précipitée vers la fenêtre pour la fermer au tambourinement <strong>de</strong> la porte. Avec rapidité, elle<br />

avait jeté un petit drap sur l’enfant mort et avait rallongé dans son lit la reine, en sang,<br />

évanouie. Il n’avait pas discerné le pourquoi <strong>de</strong> tous ses mouvements. Son esprit ne s’était<br />

ouvert qu’à ce moment-là, du bonheur <strong>de</strong> savoir que sa femme venait d’accoucher, il avait<br />

basculé dans la tragédie <strong>de</strong> cette naissance.<br />

Il était blême, fiévreux, les Mon<strong>de</strong>s s’écroulaient autour <strong>de</strong> lui. Il était à l’origine <strong>de</strong> toute<br />

cette horreur ! Pourquoi et comment avait-il pu avoir ce geste <strong>de</strong> violence ? ! Qu’avait fait ce<br />

monstre <strong>de</strong> son enfant ? ! Il crispa les <strong>yeux</strong> en imaginant cette bête s’en nourrissant. La<br />

douleur l’oppressait. Il saisissait enfin la mort <strong>de</strong> la reine.<br />

Il s’était toujours <strong>de</strong>mandé pourquoi sa femme s’était laissée mourir, pourquoi elle l’avait<br />

abandonné ainsi que leurs <strong>de</strong>ux filles. Leur amour n’avait pas d’égal, et soudain elle ne<br />

supportait plus sa présence. Elle hurlait et pleurait chaque fois qu’il s’approchait d’elle.<br />

Maintenant, il savait : c’était son amour pour lui qui l’avait tuée. Comment aurait-elle pu<br />

continuer à vivre et à aimer l’homme qui avait essayé <strong>de</strong> tuer leur enfant ? Pourquoi ne lui<br />

avait-elle pas expliqué ? Pourquoi ne s’était-il jamais rappelé cette scène ? Pourquoi lui<br />

revenait-elle maintenant ?<br />

Sa vie avait cessé le jour <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> sa reine. Il aurait voulu se suici<strong>de</strong>r pour la<br />

rejoindre, mais il avait eu l’impression qu’elle le refuserait à ses côtés. Il était resté banni <strong>de</strong><br />

son cœur même au <strong>de</strong>rnier moment. <strong>Les</strong> <strong>yeux</strong> gonflés par tant <strong>de</strong> nuits <strong>de</strong> pleurs, elle lui<br />

avait seulement <strong>de</strong>mandé avant <strong>de</strong> s’éteindre : pourquoi ?<br />

Mais qu’aurait-il pu répondre ? Il ne savait même pas ce qu’il <strong>de</strong>vait expliquer !<br />

Tout à sa douleur, il n’avait plus jamais régné comme il l’avait fait auparavant. Le duc<br />

d’Alekant l’avait soutenu dans sa peine. Le voyant si violemment secoué, détruit par toutes<br />

les tragédies consécutives et si meurtri par la mort <strong>de</strong> sa reine, il lui avait donné l’idée <strong>de</strong><br />

voiler ses filles avant qu’elles ne ressemblent trop à leur mère et ne le fassent souffrir. Sans<br />

réfléchir, il avait signé cette loi. Dans l’égoïsme <strong>de</strong> son amour brisé, il n’avait pas tenu son<br />

rôle <strong>de</strong> père et les avait oubliées. Dans la fureur <strong>de</strong> son désespoir, il avait déclaré Éléa Nom<br />

Interdit au même titre qu’une criminelle, sans penser aux conséquences <strong>de</strong> tous ces actes.<br />

Son seul but était qu’aucune âme ne répète ces syllabes douloureuses.<br />

Il avait <strong>de</strong>puis longtemps cherché à revenir sur ses décisions mais ces <strong>de</strong>ux lois<br />

appartenaient désormais aux Lois Interdites : aucun souverain, même celui qui les avait

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