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Couleur bleu nuit<br />
<strong>Les</strong> naseaux <strong>de</strong> Nis passèrent dans le cou d’Axel. La chaleur du souffle et le mouvement<br />
<strong>de</strong>s lèvres barbues le chatouillèrent. Un pli fendit sa joue mais il grogna :<br />
— Nis… Laisse-moi dormir…<br />
Ses <strong>yeux</strong> étaient bien trop gonflés <strong>de</strong> sommeil et trop douloureux pour qu’il puisse les<br />
ouvrir, mais un petit bruit insolite réussit à lui faire soulever une paupière. La toile huilée,<br />
posée la veille sur ses affaires, bougeait. Intrigué, il redressa la tête juste au moment où un<br />
écureuil sortait avec le <strong>de</strong>rnier morceau <strong>de</strong> pain qu’il s’était astreint à gar<strong>de</strong>r.<br />
— Hé ! Espèce <strong>de</strong> voleur ! s’écria-t-il en faisant voler sa couverture.<br />
Le petit animal, tout saisi sur le moment, s’éclipsa comme un éclair dans les lianes <strong>de</strong><br />
clématites, avec le morceau <strong>de</strong> pain. Plutôt mourir que <strong>de</strong> le lâcher !<br />
— Saleté ! cria Axel en écartant en vain les buissons.<br />
L’écureuil était déjà loin, son petit déjeuner aussi. Axel bougonna un moment. Le quignon<br />
était à moitié rassis mais son estomac creux s’en serait bien contenté pour ce matin. Il se<br />
rassit comme un sac sur son matelas <strong>de</strong> fortune et finit par se rallonger encore sous le coup<br />
<strong>de</strong> ce réveil trop brutal et trop matinal. Nis approcha les naseaux.<br />
— Encore une <strong>de</strong>mi-heure, ma belle, dit-il en frottant ses <strong>yeux</strong> et ses pommettes brûlées<br />
par les récentes traversées <strong>de</strong> glaciers. Nous allons retourner vers un village. Je n’ai plus rien<br />
à manger <strong>de</strong> toute façon. Tu vas avoir tes carottes, tu le sais.<br />
Et il s’endormit pour <strong>de</strong>ux heures <strong>de</strong> plus.<br />
À son réveil, il était moins reposé qu’il l’aurait voulu, et tout à fait affamé. Au<br />
trépignement d’impatience <strong>de</strong> Nis, il céda et se leva.<br />
— Tu as à ce point envie <strong>de</strong> reprendre la route ?<br />
Elle bougea les oreilles.<br />
— Tu m’as l’air en forme, toi. Tu veux aller dans les Bois Obscurs ? Ce n’est pas loin. Juste<br />
à une <strong>de</strong>mi-journée d’ici. Droit <strong>de</strong>vant. Il paraît que tous ceux qui s’y enfoncent ne reviennent<br />
pas… Mais ce n’est pas forcément parce qu’un Bas-Esprit les retient, sourit-il. Peut-être qu’ils<br />
ont trouvé un lieu merveilleux ? Maintenant, si tu veux absolument voir un monstre, il faut<br />
aller plus loin, près du château, dans la Forêt Interdite…<br />
Nis ne semblait pas tout comprendre mais elle avait perdu son enthousiasme. Le pli qui<br />
fendait la joue <strong>de</strong> son maître montrait qu’il <strong>de</strong>vait certainement se moquer d’elle. Elle baissa<br />
les oreilles. Axel sourit un peu plus. Il n’avait la force d’aller nulle part pour l’instant mais il<br />
avait trop faim pour rester là.<br />
Au ralenti, il chargea la selle sur le dos <strong>de</strong> sa jument et éparpilla les cendres <strong>de</strong> son feu<br />
déjà éteint par la pluie <strong>de</strong> la veille. Mâchouillant un morceau d’écorce <strong>de</strong> bouleau, il se remit<br />
en route. Nis prit un pas allègre pour <strong>de</strong>scendre dans cette végétation accueillante et<br />
chantante. Attirée toujours plus loin comme son maître, elle se mit à suivre les rais <strong>de</strong> soleil<br />
qui s’allongeaient obliquement sur le tapis <strong>de</strong> mousse, d’humus et <strong>de</strong> rosée.<br />
Korta d’Alekant forçait l’allure <strong>de</strong> son grand cheval noir sur les sentiers <strong>de</strong> Leïlan, en<br />
direction du sud. Il avait hâte <strong>de</strong> rejoindre ses espions scylès, avant <strong>de</strong> mettre son plan<br />
contre le Masque à exécution. Il était satisfait <strong>de</strong> leur travail mais certaines <strong>de</strong> leurs