Françoise. Il était obligé de passer par là. Le temps de gril<strong>le</strong>r une cigarette, il arrivait.- Où on va ?- Écouter du Ferré, ça te va ?Chez Hassan, Bar des Maraîchers à la Plaine, ni raï, ni reggae, ni rock. De lachanson française, et presque toujours Brel, Brassens et Ferré. L’Arabe, il se faisaitplaisir en prenant <strong>le</strong>s clients à contre-pied.- Salut, Étrangers, dit-il en nous voyant entrer.Ici, on était tous l’ami étranger. Quel<strong>le</strong> que soit la cou<strong>le</strong>ur de la peau, descheveux ou des yeux. Hassan s’était fait une bel<strong>le</strong> clientè<strong>le</strong> de jeunes, lycéens etétudiants. De ceux qui tail<strong>le</strong>nt <strong>le</strong>s cours, de préférence <strong>le</strong>s plus importants. Ilstchatchaient de l’avenir du monde devant un demi pression, puis, passées septheures du soir, ils entreprenaient de <strong>le</strong> reconstruire. Ça ne changeait rien à rien, maisc’était bon par où ça passait. Ferré chantait :On n’est pas des saints.Pour la béatitude, on n’a qu’Cinzano.Pauvres orphelins,On prie par habitude notr’Per’nod.Je ne savais que boire. J’avais sauté l’heure du pastis. Après un coup d’œil auxbouteil<strong>le</strong>s, j’optai pour un G<strong>le</strong>nmorangie. Pérol, pour un demi.- T’es jamais venu ici ? Il secoua la tête. Il me regardait comme si j’étaismalade. Mon cas devait être grave. Tu devrais sortir plus souvent. Tu vois, Pérol, dessoirs, on devrait se faire des virées, nous deux. Histoire de pas perdre de vue laréalité. Tu piges ? On perd <strong>le</strong> sens du réel, et badaboum, on sait plus sur quel<strong>le</strong>étagère on a laissé son âme. Au rayon des copains. Au rayon des femmes. Côté cour,côté cuisine. Dans la boîte à chaussures. Le temps de te retourner, t’es perdu dans <strong>le</strong>tiroir du bas, avec <strong>le</strong>s accessoires.- Arrête ! dit-il sans crier, mais fermement.- Tu vois, je poursuivis, sans faire cas de sa colère, ça serait peut-être bien,quelques daurades. Grillées avec du thym et du laurier. Et juste un fi<strong>le</strong>t d’hui<strong>le</strong> d’olivedessus. Ta femme, el<strong>le</strong> aimerait ça, tu crois ?J’avais envie de par<strong>le</strong>r cuisine. De faire l’inventaire de tous <strong>le</strong>s plats que jesavais préparer. De mitonner des cannellonis au jambon et aux épinards. De préparerune salade de thon aux pommes de terre nouvel<strong>le</strong>s. Des sardines à l’escabèche.J’avais faim.- T’as pas faim ? Pérol ne répondit pas. Pérol, je vais te dire, je sais même pluston prénom.- Gérard, dit-il, en souriant enfin.- Ben, mon Gégé. On va s’en envoyer encore un, puis on va al<strong>le</strong>r manger unmorceau. Qu’est-ce que t’en dis ?Au lieu de répondre, il m’expliqua <strong>le</strong> foutoir que c’était, dans la maison poulaga.Auch était venu réclamer Mourrabed, à cause des armes. Brenier l’exigeait, pour ladrogue. Loubet refusait de <strong>le</strong> lâcher, parce que, merde, lui il enquêtait sur un crime.Du coup, Auch s’était rabattu sur Farge. Comme il faisait <strong>le</strong> con, trop sûr de sesprotections, il avait ramassé des torgno<strong>le</strong>s. Auch gueulait que s’il ne lui expliquait pascomment ces armes étaient arrivées là, dans sa cave, il lui exploserait la tête.Au détour d’un couloir, l’autre, monsieur Musc<strong>le</strong>s, que j’avais expédié à Pérol,en voyant Farge, il s’était mis à hur<strong>le</strong>r que c’était lui qui l’avait envoyé casser <strong>le</strong>s dentsà la pute. Dès que <strong>le</strong> mot « pute » arriva à l’étage du dessous, Gravis se pointa. Lesproxénètes, c’était son secteur. Et Farge, il <strong>le</strong> connaissait sur <strong>le</strong> bout des doigts.
- C’est <strong>le</strong> moment que j’ai choisi pour m’étonner que Farge n’ait pas de casier.- Bien joué.- Gravis gueulait qu’il y avait de sacrés enfoirés dans la maison. Auch a gueuléencore plus fort que son casier, à Farge, on allait lui refaire vite fait. Et il a passéFarge à Morvan pour une visite guidée du sous-sol…- Et ? demandai-je, même si je devinai la réponse.- Son cœur a pas supporté. Crise cardiaque, trois quarts d’heure après.Combien de temps me restait-il à vivre ? Je me demandai quel plat j’aimeraismanger avec de mourir. Une soupe de poisson, peut-être bien. Avec une bonnerouil<strong>le</strong>, montée avec de la chair d’oursins et un peu de safran. Mais je n’avais plusfaim. Et j’étais dégrisé.- Et Mourrabed ?- On a relu ses confessions. Il <strong>le</strong>s a signées. Puis je l’ai passé à Loubet. Bon, tume débal<strong>le</strong>s ton histoire, dans quoi t’es mêlé, tout ça. Pas envie de mourir idiot.- C’est long. Alors, laisse-moi al<strong>le</strong>r pisser.Au passage, je me commandai un autre G<strong>le</strong>nmorrangie. Ce truc-là, ça sebuvait mieux que du petit lait. Dans <strong>le</strong>s toi<strong>le</strong>ttes, un petit rigolo avait écrit : « Souriez,vous êtes filmé ». Je fis mon sourire n°5. Fabio, tout va bien. T’es <strong>le</strong> plus beau. T’es <strong>le</strong>plus fort. Puis je me passai la tête sous <strong>le</strong> robinet.Quand on revint à l’Hôtel de Police, Pérol connaissait tout de l’histoire. Dans <strong>le</strong>moindre détail. Il avait écouté sans m’interrompre. De lui en faire ainsi <strong>le</strong> récit me fit dubien. Je n’y voyais pas vraiment plus clair, mais j’avais <strong>le</strong> sentiment de savoir oùj’allais.- Tu penses que Manu, il a voulu doub<strong>le</strong>r Zucca ?C’était plausib<strong>le</strong>. Compte tenu de ce qu’il m’avait dit. Le gros coup, ce n’étaitpas <strong>le</strong> boulot qu’il devait faire. C’était <strong>le</strong> paquet de fric qu’il pouvait en retirer. Mais enmême temps, plus j’y pensais et moins ça collait. Pérol mettait <strong>le</strong> doigt juste où çacoinçait. Je ne voyais pas Manu arnaquer Zucca. Il lui arrivait de faire des trucsdingues, mais il savait flairer <strong>le</strong>s vrais dangers. Comme un animal. Et puis, c’estBatisti qui l’avait branché sur <strong>le</strong> coup. Le père qu’il s’était choisi. Le seul type à qui ilfaisait à peu près confiance. Il ne pouvait pas lui faire ça.- Non, je crois pas, Gérard.Mais je ne voyais pas qui avait pu <strong>le</strong> descendre.Il me manquait encore une autre réponse : comment Leila avait-el<strong>le</strong> connuToni ?J’avais l’intention d’al<strong>le</strong>r <strong>le</strong> lui demander. Ce n’était plus qu’un détail, mais il metenait à cœur. Ça pinçait, comme la jalousie. Leila amoureuse. Je m’étais fait à cetteidée. Mais pas aussi faci<strong>le</strong>ment. Admettre qu’une femme que l’on désire soit dans unlit avec un autre. Même si je l’avais décidé, ce n’était pas aussi simp<strong>le</strong>, non. AvecLeila, peut-être, j’aurais pu repartir à zéro. Réinventer. Rebâtir. Libéré du passé. Dessouvenirs. Illusion. Leila, c’était <strong>le</strong> présent, l’avenir. J’appartenais à mon passé. Sij’avais un demain heureux, il me fallait revenir à ce rendez-vous manqué. À Lo<strong>le</strong>. Toutce temps qui avait passé entre nous.Leila avec Toni, je ne comprenais pas. Toni, il avait pourtant bel et bienembarqué Leila. Le gardien de la cité universitaire avait appelé dans l’après-midi,m’apprit Pérol. Sa femme s’était souvenue avoir vu Leila monter dans une Golfdécapotab<strong>le</strong>, après avoir discuté quelques minutes sur <strong>le</strong> parking avec <strong>le</strong> conducteur.Que même el<strong>le</strong> avait pensé : « Ben, sa<strong>le</strong>tte, el<strong>le</strong> s’emmerde pas, la petite ! »Derrière <strong>le</strong>s voies SNCF de la gare Saint-Char<strong>le</strong>s, coincé par la sortie del’autoroute Nord et <strong>le</strong>s bou<strong>le</strong>vards de Plombières et National, <strong>le</strong> quartier de la Bel<strong>le</strong>-
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- Au revoir, monsieur Varounian, r
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