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- Leila, tu vois, el<strong>le</strong> l’a eue cette chance, qu’un enfant d’immigré sur des millierspeut avoir. Ce devait être trop. La vie lui a tout repris. J’aurais dû l’épouser, Pérol.- Ça n’empêche pas <strong>le</strong> malheur.- Parfois, il suffit d’un geste, d’un mot, pour changer <strong>le</strong> cours de la vie d’un être.Même si la promesse ne tiendra pas jusqu’à l’éternité. T’as pensé à ta fil<strong>le</strong> ?- J’y pense chaque fois qu’el<strong>le</strong> sort. Mais des ordures comme ceux-là, ça courtpas <strong>le</strong>s rues tous <strong>le</strong>s jours.- Ouais. Mais ils courent quelque part, en ce moment.Pérol proposa de m’attendre dans la voiture. Je racontai tout à Mouloud. À part<strong>le</strong>s fourmis et <strong>le</strong>s mouches. Je lui expliquai que d’autres flics viendraient, qu’il luifaudrait al<strong>le</strong>r reconnaître <strong>le</strong> corps, remplir des tas de papiers. Et que s’il avait besoinde moi, bien sûr j’étais là.Il s’était assis et m’écouta sans broncher. Ses yeux dans <strong>le</strong>s miens. Il n’avaitpas de larmes prêtes à cou<strong>le</strong>r. Comme moi, il s’était glacé. Pour toujours. Il se mit àtremb<strong>le</strong>r, mais sans s’en rendre compte. Il n’écoutait plus. Il vieillissait, là, devant moi.Les années allaient plus vite d’un seul coup, et <strong>le</strong> rattrapaient. Même <strong>le</strong>s annéesheureuses lui revenaient avec un goût amer. C’est dans <strong>le</strong>s moments de malheur quel’on redécouvre qu’on est un exilé. Mon père m’avait expliqué ça.Mouloud venait de perdre la deuxième femme de sa vie. Sa fierté. Cel<strong>le</strong> quiaurait justifié tous ses sacrifices, jusqu’à ceux d’aujourd’hui. Cel<strong>le</strong> qui aurait enfindonné raison à son déracinement. L’Algérie n’était plus son pays. La France venait de<strong>le</strong> rejeter définitivement. Maintenant il n’était plus qu’un pauvre Arabe. Sur son sort,personne ne viendrait se pencher.Il attendrait la mort, ici, dans cette cité de merde. L’Algérie, il n’y retourneraitpas. Il y était revenu, une fois, après Fos. Avec Leila, Driss et Kader. Pour voir,comment c’était « là-bas ». Ils étaient restés vingt jours. Il avait vite compris. L’Algérie,ce n’était plus son histoire. C’était une histoire qui ne l’intéressait plus. Les magasinsvides, à l’abandon. Les terres, distribuées aux anciens moudjahidins, restées incultes.Les villages déserts et repliés sur <strong>le</strong>ur misère. Pas de quoi y étancher ses rêves,refaire sa vie. Dans <strong>le</strong>s rues d’Oran, il n’avait pas retrouvé sa jeunesse. Tout était de« l’autre côté ». Et Marseil<strong>le</strong> s’était mise à lui manquer.Le soir où ils avaient emménagé dans ce petit deux-pièces, Mouloud, en guisede prière, avait déclaré à ses enfants : « On va vivre ici, dans ce pays, la France.Avec <strong>le</strong>s Français. C’est pas un bien. C’est pas <strong>le</strong> pire des maux. C’est <strong>le</strong> destin. Fauts’adapter, mais pas oublier qui on est. »Puis j’appelai Kader, à Paris. Pour qu’il vienne immédiatement. Et qu’il prévoiede passer du temps ici. Mouloud aurait besoin de lui, et Driss aussi. Mouloud lui ditensuite quelques mots, en arabe. Enfin, je téléphonai à Mavros, à la sal<strong>le</strong> de boxe.Driss s’y entrainait, comme tous <strong>le</strong>s samedis après-midi. Mais c’était Mavros que jevoulais avoir. Je lui dis, pour Leila.- Trouve-lui un combat, Georges. Vite. Et fais-<strong>le</strong> travail<strong>le</strong>r. Tous <strong>le</strong>s soirs.- Putain, je <strong>le</strong> tue, si je lui mets un combat. Même dans deux mois. Il sera bon,comme boxeur. Mais ce minot, il est pas encore prêt.- Je préfère qu’il se tue comme ça, plutôt qu’à faire des conneries. Georges,fais ça pour moi. Occupe-toi de lui. Personnel<strong>le</strong>ment.- OK, OK. Je te <strong>le</strong> passe ?- Non. Son père lui expliquera tout à l’heure. Quand il rentrera.Mouloud opina de la tête. C’était <strong>le</strong> père. C’était à lui de lui dire. C’est un vieilhomme qui se <strong>le</strong>va du fauteuil, quand je raccrochai.- Tu devrais partir maintenant, m’sieur. Je voudrais être seul.Il l’était. Et perdu.

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