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entreprennent de <strong>le</strong> changer, à peine installées dans <strong>le</strong>s draps neufs d’une viecommune. « On ne te refera pas », avait dit Rosa en partant, il y a six ans. El<strong>le</strong> avaitessayé pendant deux ans. J’avais résisté. Encore mieux qu’avec Muriel, Carmen etAlice. Et une nuit je me retrouvais toujours devant un verre vide et un cendrier p<strong>le</strong>in demégots.Je bus <strong>le</strong> vin à même la bouteil<strong>le</strong>. Encore une de ces nuits où je ne savais pluspourquoi j’étais flic. Depuis cinq ans on m’avait affecté à la Brigade de Surveillance deSecteurs. Une unité de flics sans formation chargée de faire régner l’ordre dans <strong>le</strong>sbanlieues. J’avais de l’expérience, du sang-froid, et j’étais un mec calme. Le type idéalà envoyer au casse-pipe après quelques bavures retentissantes. Lahaouri BenMohamed, un jeune de dix-sept ans, s’était fait descendre lors d’un banal contrô<strong>le</strong>d’identité. Les associations antiracistes avaient gueulé, <strong>le</strong>s partis de gauche s’étaientmobilisés. Tout ça, quoi. Mais ce n’était qu’un Arabe. Pas de quoi foutre en l’air <strong>le</strong>sDroits de l’Homme. Non. Mais quand, en février 1988, Char<strong>le</strong>s Dovero, <strong>le</strong> fils d’unchauffeur de taxi, se fit flinguer, la vil<strong>le</strong> fut en émoi. Un Français, merde. Ça, c’étaitune vraie bavure. Il fallait prendre des mesures. Ce fut moi. Je pris mes fonctions latête bourrée d’illusions. L’envie d’expliquer, de convaincre. De donner des réponses,<strong>le</strong>s bonnes de préférence. D’aider. Ce jour-là, j’avais commencé à glisser, selonl’expression de mes collègues. De moins en moins flic. De plus en plus éducateur derue. Ou assistante socia<strong>le</strong>. Ou quelque chose comme ça. Depuis, j’avais perdu laconfiance de mes chefs et je m’étais fait pas mal d’ennemis. Certes, il n’y avait pluseu de bavures, et la petite criminalité n’avait pas progressé, mais <strong>le</strong> « tab<strong>le</strong>au dechasse » était peu glorieux : pas d’arrestations spectaculaires, pas de super-coupmédiatique. La routine, bien gérée.Les réformes, nombreuses, accrurent mon iso<strong>le</strong>ment. Il n’y eut pasd’affectations supplémentaires à la BSS. Et, un matin, je m’étais retrouvé sans plusaucun pouvoir. Dépossédé par la brigade anticriminalité, la brigade antidrogue, labrigade antiprostitution, la brigade anti-émigration clandestine. Sans compter labrigade de répression du grand banditisme que dirige Auch, avec brio. J’étais devenuun flic de banlieue à qui échappaient toutes <strong>le</strong>s enquêtes. Mais, depuis la Colonia<strong>le</strong>, jene savais rien faire d’autre, que ça, être flic. Et personne ne m’avait mis au défi defaire autre chose. Mais je savais que mes collègues avaient raison, je glissais. Jedevenais un flic dangereux. Pas celui qui pourrait tirer dans <strong>le</strong> dos d’un loubard poursauver la peau d’un copain.Le répondeur clignotait. Il était tard. Tout pouvait attendre. J’avais pris unedouche. Je me servis un verre de Lagavulin, mis un disque de Thelonious Monk et mecouchai avec En marge des marées de Conrad. Mes yeux se fermèrent. Monkcontinua en solo.

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