2 - Où même sans solution, parier c’est encore espérer.Je garai ma R5 sur <strong>le</strong> parking de La Paternel<strong>le</strong>. Une cité maghrébine. Ce n’étaitpas la plus dure. Ce n’était pas la moins pire. Il était à peine 10 heures et il faisait déjàtrès chaud. Ici, <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il pouvait s’en donner à cœur joie. Pas un arbre, rien. La cité. Leparking. Le terrain vague. Et au loin, la mer. L’Estaque et son port. Comme un autrecontinent. Je me souvenais qu’Aznavour chantait : La misère est moins dure au so<strong>le</strong>il.Sans doute n’était-il pas venu jusqu’ici. Jusqu’à ces amas de merde et de béton.Quand j’avais débarqué dans <strong>le</strong>s cités, je m’étais frotté tout de suite auxvoyous, aux toxicos et aux zonards. Ceux qui sortent du rang, qui jettent <strong>le</strong> froid. Quifoutent la trouil<strong>le</strong> aux gens. Pas qu’à ceux du centre, mais à ceux des cités aussi. Lesvoyous, des ado<strong>le</strong>scents déjà avancés dans la délinquance. Braqueurs, dea<strong>le</strong>rs,racketteurs. Certains, à peine âgés de dix-sept ans, totalisent parfois deux ans deprison, assortis d’un « sursis de mise à l’épreuve » de plusieurs années. Des petitsdurs, au cran d’arrêt faci<strong>le</strong>. Craignos. Les toxicos, eux, ne cherchent pas <strong>le</strong>semmerdes. Sauf qu’il <strong>le</strong>ur faut souvent de la thune, et que, pour ça, ils peuvent fairen’importe quel<strong>le</strong> connerie. Ça <strong>le</strong>ur pendait au nez. Leur visage, c’était déjà un aveu.Les zonards, c’est des mecs cool. Pas de conneries. Pas de casier judiciaire.Ils sont inscrits au LEP, mais n’y vont pas, ce qui arrange tout <strong>le</strong> monde : ça allège <strong>le</strong>sclasses et ça permet d’obtenir des profs supplémentaires. Ils passent <strong>le</strong>s après-midi àla Fnac ou chez Virgin. Tapent une clope par-ci, cent bal<strong>le</strong>s par-là. La démerde, saine.Jusqu’au jour où ils se mettent à rêver de rou<strong>le</strong>r en BMW, parce qu’ils en ont marre deprendre <strong>le</strong> bus. Ou qu’ils ont « l’illumination » de la dope. Et se fixent.Puis il y a tous <strong>le</strong>s autres, que j’ai découverts après. Une flopée de gossessans autre histoire que cel<strong>le</strong> d’être nés là. Et arabes. Ou noirs, gitans, comoriens.Lycéens toutes catégories, travail<strong>le</strong>urs intérimaires, chômeurs, emmerdeurs publics,sportifs. Leur ado<strong>le</strong>scence, c’était comme marcher sur une corde raide. À cettedifférence qu’ils avaient presque toutes <strong>le</strong>s chances de tomber. Où ? Ça c’était laloterie. Personne ne savait. Loubard, zonard, toxico. Ils <strong>le</strong> sauraient tôt ou tard. Quandpour moi c’était toujours trop tôt, pour eux c’était trop tard. En attendant, ils sefaisaient éping<strong>le</strong>r pour des broutil<strong>le</strong>s. Pas de ticket de bus, bagarre à la sortie ducollège, petite fauche au supermarché.De ça, ils en causaient sur Radio Galère, la radio sa<strong>le</strong> qui lave la tête. Uneradio de tchatche, que j’écoutais régulièrement en voiture. J’attendis la fin del’émission, la portière ouverte.- Nos vieux, y peuvent plus nous aider, putain ! Par exemp<strong>le</strong>, tu me prends moi.J’arrive à dix-huit balais, hein. Ben, y m’faut cinquante ou cent bal<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> vendredi soir.Normal, non ? Chez moi, on est cinq. Le vieux, où tu veux qu’y trouve cinq centsbal<strong>le</strong>s, toi ? Donc, plus ou moins, j’dis pas moi, mais… <strong>le</strong> jeune, il devra…- Faire <strong>le</strong>s poches ! Té !- Déconne pas !- Ouais ! Et <strong>le</strong> type qui s’fait tirer son fric, y voit qu’c’est un Arabe. Vé, d’un seulun coup un seul, il te devient Front national !- Mêm’ qu’si il est pas raciste, té !- Ç’aurait pu être, j’sais pas moi, un Portugais, un Français, un Gitan.- Ou un Suisse ! Con ! Des vo<strong>le</strong>urs, y en a de partout.- Manque de pot, à Marseil<strong>le</strong>, faut reconnaître qu’c’est plus souvent un Arabequ’un Suisse.
Depuis que je m’occupais du secteur, j’avais alpagué quelques vrais malfrats,pas mal de dea<strong>le</strong>rs et de braqueurs. Flagrants délits, courses poursuites à travers <strong>le</strong>scités ou sur <strong>le</strong>s périphs. Direction <strong>le</strong>s Baumettes, la grande tau<strong>le</strong> marseillaise. Je <strong>le</strong>faisais sans pitié, sans haine non plus. Mais avec un doute, toujours. La prison, à dixhuitpiges, quel que soit <strong>le</strong> mec, on lui casse sa vie. Quand on braquait avec Manu etUgo, <strong>le</strong>s risques, on ne se posait pas la question. On connaissait la règ<strong>le</strong>. Tu joues. Situ gagnes, tant mieux. Si tu perds, tant pis. Sinon, fallait rester à la maison.C’était toujours la même règ<strong>le</strong>. Mais <strong>le</strong>s risques étaient cent fois plus grands. Et<strong>le</strong>s prisons regorgeaient de mineurs. Six pour un, je savais ça. Un chiffre qui me filait<strong>le</strong> bourdon.Une dizaine de gosses se couraient après en se lançant des pierres grossescomme <strong>le</strong> poing. « Pendant c’temps y font pas d’conn’ries », m’avait dit une desmères. Les conneries, c’est quand il fallait <strong>le</strong>s flics. Ça, ce n’était que la version juniorde OK Corral. Devant <strong>le</strong> bâtiment C 12, six beurs, douze-dix-sept ans, discutaient <strong>le</strong>coup. Dans <strong>le</strong> mètre cinquante d’ombre qu’offrait l’immeub<strong>le</strong>. Ils me virent venir verseux. Surtout <strong>le</strong> plus âgé. Rachid. Il commença à secouer la tête et à souff<strong>le</strong>r,persuadé que rien que ma présence, c’était <strong>le</strong> début des emmerdements. Je n’avaispas l’intention de <strong>le</strong> décevoir. Je lançai à la cantonade :- Alors, on fait classe en p<strong>le</strong>in air ?- Vé ! C’est journée pédagogique, ‘jourd’hui, m’sieur., Y se font classe entreeusse, dit <strong>le</strong> plus jeune.- Ouais. Voir si sont balèzes, pour nous z’entrer des trucs dans la chetron,renchérit un autre.- Super. Et vous êtes en p<strong>le</strong>ins travaux pratiques, je suppose.- Quoi ! Quoi ! On fait rien d’mal ! Lâcha Rachid.Pour lui, l’éco<strong>le</strong> était finie depuis longtemps. Viré du LEP. Après avoir menacéun prof qui l’avait traité de débi<strong>le</strong>. Un brave gosse pourtant. Il espérait un staged’apprentissage. Comme beaucoup dans <strong>le</strong>s cités. L’avenir, c’était ça, attendre unstage de quelque chose, même de n’importe quoi. Et c’était mieux que de ne rienattendre du tout.- Je dis rien, moi, je m’informe. Il portait un survêtement aux cou<strong>le</strong>urs de l’OM,b<strong>le</strong>u et blanc. Je palpai <strong>le</strong> tissu. C’est tout neuf, dis donc.- Quoi ! J’l’ai payé. C’est ma mèr’.Je passai mon bras autour de ses épau<strong>le</strong>s et l’entraînai hors du groupe. Sescopains me regardèrent, comme si je venais d’enfreindre la loi. Prêts à hur<strong>le</strong>r.- Dis Rachid, je vais au B7, là-bas. Tu vois. Au cinquième. Chez Mouloud.Mouloud Laarbi. Tu connais ?- Ouais. Et alors ?- Je vais y rester, heu, une heure peut-être.- Qu’j’ai à voir, moi ?Je lui fis faire encore quelques pas, vers ma voiture.- Là, devant toi, c’est ma tire. C’est pas un chef-d’œuvre, tu me diras. D’accord.Mais j’y tiens. J’aimerais pas qu’el<strong>le</strong> ait un problème. Pas même une rayure. Alors, tula surveil<strong>le</strong>s. Et si t’as envie d’al<strong>le</strong>r pisser, tu t’arranges avec tes potes. OK ?- Chuis pas l’gardien, moi, m’sieur.- Ben, exerce-toi. Y a peut-être une place à prendre. Je lui serrai l’épau<strong>le</strong> unpeu plus fort. Pas une rayure, hein, Rachid, sinon…- Quoi ! J’fais rien. Pouvez rien m’accuser.- Je peux tout Rachid. Je suis flic. T’as pas oublié, dis ? Je laissai courir mamain dans son dos. Si je te mets la main au cul, là, dans la poche arrière, qu’est-ce
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devienne amis, mais j’aimais bien
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orgueil. Quant à votre soi-disant
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point. Ce qui est rare. Habituellem
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Françoise. Il était obligé de pa
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sûr que les parents de Karine, sur
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Tanagra. L’un des truands abattu
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le téléphone personnel de Pérol.
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pourtant ça que j’avais envie de
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ÉpilogueRien ne change, et c’est
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Le monde se remettait en ordre. Nos