8 - Où ne pas dormir ne résout pas <strong>le</strong>s questions.Sanchez était en nage. De grosses gouttes de sueur coulaient de son front. Ils’essuya d’un revers de main. Il suait éga<strong>le</strong>ment dans <strong>le</strong> cou. Au bout d’un moment, ilsortit un mouchoir pour s’éponger. Je commençai à sentir sa transpiration. Il necessait de remuer sur sa chaise. Il devait avoir envie de pisser. Il avait peut-êtremême déjà mouillé son slip.Je ne l’aimais pas, Sanchez, mais je n’arrivais pas à <strong>le</strong> prendre en grippe. Cedevait être un bon père de famil<strong>le</strong>. Il bossait dur, toutes <strong>le</strong>s nuits. Il dormait quand sesenfants partaient pour l’éco<strong>le</strong>. Il reprenait son taxi quand ils rentraient. Il ne devaitjamais <strong>le</strong>s voir. Sauf <strong>le</strong>s rares samedis et dimanches où il était de repos. Une fois parmois, sans doute. Au début, il prenait sa femme en rentrant. Il la réveillait, el<strong>le</strong> n’aimaitpas ça. Il y avait renoncé et, depuis, il se contentait d’une pute quelques fois dans lasemaine. Avant d’al<strong>le</strong>r bosser, ou après. Avec sa femme, ce ne devait plus êtrequ’une fois par mois, quand son congé tombait un samedi.Mon père avait connu la même vie. Il était typographe au quotidien LaMarseillaise. Il partait au journal vers <strong>le</strong>s cinq heures, <strong>le</strong> soir. J’avais grandi dans sesabsences. Quand il rentrait, la nuit, il venait m’embrasser. Il sentait <strong>le</strong> plomb, l’encre etla cigarette. Cela ne me réveillait pas. Ça faisait partie de mon sommeil. Quand iloubliait, ça lui arrivait, j’avais de mauvais rêves. Je l’imaginais nous abandonnant mamère et moi. Vers douze-treize ans, je rêvais souvent qu’il avait une autre femmedans sa vie. El<strong>le</strong> ressemblait à Gélou. Il la pelotait. Puis, au lieu de mon père, c’étaitGélou qui venait m’embrasser. Ça me faisait bander. Alors je retenais Gélou, pour lacaresser. El<strong>le</strong> venait dans mon lit. Puis mon père arrivait, furieux. Il faisait unscanda<strong>le</strong>. Et ma mère rappliquait, en larmes. Je ne sus jamais si mon père avait eudes maîtresses. Il avait aimé ma mère, ça, j’en étais sûr, mais <strong>le</strong>ur vie me restait unmystère.Sanchez remua sur sa chaise. Mon si<strong>le</strong>nce l’inquiétait.- Ils ont quel âge vos enfants ?- Quatorze et seize, <strong>le</strong>s garçons. Dix ans, la petite. Laure. Laure, comme mamère.Il sortit un portefeuil<strong>le</strong>, l’ouvrit et me tendit une photo de la famil<strong>le</strong>. Je n’aimaispas ce que je faisais. Mais je voulais <strong>le</strong> détendre, pour qu’il m’en raconte <strong>le</strong> pluspossib<strong>le</strong>. Je regardai ses mômes. Tous <strong>le</strong>urs traits étaient mous. Dans <strong>le</strong>urs yeux,fuyants, aucune lueur de révolte. Des aigris de naissance. Ils n’auront de haine quepour plus pauvres qu’eux. Et tous ceux qui boufferont <strong>le</strong>ur pain. Arabes, Noirs,Jaunes. Jamais contre <strong>le</strong>s riches. On savait déjà ce qu’ils seraient. Peu de chose.Dans <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur des cas, <strong>le</strong>s garçons chauffeurs de taxi, comme papa. Et la fil<strong>le</strong>,shampouineuse. Ou vendeuse à Prisunic. Des Français moyens. Des citoyens de lapeur.- Ils sont beaux, dis-je hypocritement. Bon, vous me racontez. Qui conduisaitvotre taxi ?- Que je vous explique. J’ai un ami, Toni, enfin un copain. Parce que, vé, on estpas intimes, vous comprenez. Y fait équipe avec <strong>le</strong> groom du Frantel. Charly. Y lèventdes gogos. Des hommes d’affaires. Des genres cadres. Tout ça. Toni, y met <strong>le</strong> taxi à<strong>le</strong>ur disposition pour la soirée. Y <strong>le</strong>s emmène dans des restaurants chicos, des boîtesoù qu’y a pas d’embrouil<strong>le</strong>s. Y s’<strong>le</strong>s termine chez <strong>le</strong>s putes. Des bonnes, vé ! Cel<strong>le</strong>squ’ont un petit studio…
Je lui offris une cigarette. Il se sentit plus à l’aise. Il cessa de transpirer.- Et à des tab<strong>le</strong>s de jeu, où ça mise gros, je parie ?- Ouais. Fan ! Y en a de super-bel<strong>le</strong>s. Té ! c’est comme <strong>le</strong>s putes. Savez c’qu’yz’aiment, ces gus. L’exotique. S’taper des crouil<strong>le</strong>s, des négresses, des Viets. Maisdes propres, hein. Même que des fois, y s’font un cocktail.Il devenait intarissab<strong>le</strong>. Ça <strong>le</strong> rendait important de me raconter. Et puis çal’excitait. Il devait se faire payer en putes, quelquefois.- Vous, vous prêtez <strong>le</strong> taxi.- Voilà. Y m’paye, et moi je glande. J’fais une belote avec <strong>le</strong>s potes. J’vais àl’OM, si ça joue. Je déclare que c’qu’y a au compteur. Tout bénef. Et c’estconséquent. Toni, y marge sur tout. Les gogos, <strong>le</strong>s restos, <strong>le</strong>s boîtes, <strong>le</strong>s putes. Toutça quoi.- Ça vous arrive souvent ?- Deux, trois fois dans <strong>le</strong> mois.- Et vendredi soir.Il fit oui de la tête. Comme un escargot baveux, il réintégra sa coquil<strong>le</strong>. Onrevenait à quelque chose qui ne lui plaisait pas. La peur reprenait <strong>le</strong> dessus. Il savaitqu’il en disait trop et qu’il n’en avait pas encore assez dit.- Ouais. M’l’avait demandé.- Ce que je comprends pas, Sanchez, c’est qu’il transportait pas des gogosvotre copain. Mais deux tueurs.J’allumai une autre cigarette, sans lui en proposer cette fois. Je me <strong>le</strong>vai. Jesentais la dou<strong>le</strong>ur revenir. Des tirail<strong>le</strong>ments. Accélère, je me dis. Je regardai par lafenêtre. Le port, la mer. Les nuages se <strong>le</strong>vaient. Une lumière incroyab<strong>le</strong> irradiaitl’horizon. De l’écouter par<strong>le</strong>r des putes me fit penser à Marie-Lou. Aux coups qu’el<strong>le</strong>avait reçus. À son mac. Aux clients qu’el<strong>le</strong> recevait. Est-ce qu’el<strong>le</strong> était dans un de cescircuits ? Lâchée dans des partouzes de porcs friqués ? « Avec ou sans oreil<strong>le</strong>r ? »demandait-on dans certains hôtels, spécialisés dans <strong>le</strong>s colloques et séminaires, lorsde la réservation.La mer était argentée. Que pouvait faire Marie-Lou chez moi, à cet instant ? Jen’arrivais pas à l’imaginer. Je n’arrivais plus à imaginer une femme chez moi. Unvoilier prenait <strong>le</strong> large. Je serais bien allé à la pêche. Pour ne plus être là. J’avaisbesoin de si<strong>le</strong>nce. Marre d’écouter des histoires à la con depuis ce matin. Mourrabed.Sanchez, son copain Toni. Toujours la même saloperie humaine.- Alors, Sanchez, je dis en m’approchant de lui. Comment t’expliques ça ?Le tutoiement <strong>le</strong> fit sursauter. Il devina qu’on entrait dans la seconde mi-temps.- Ben, vé, je m’explique pas. Y a jamais eu d’engatse.- Écoute, je dis en me rasseyant. T’as une famil<strong>le</strong>. De beaux gosses. Unechouette femme, sans doute. Tu <strong>le</strong>s aimes. Tu y tiens. T’as envie de ramener un peuplus de fric. Je comprends. Tout <strong>le</strong> monde en est là. Mais maintenant t’es dans unesa<strong>le</strong> histoire. T’es comme acculé dans une impasse. T’as pas beaucoup de solutions.Faut que tu craches. Le nom, l’adresse de ton copain Toni. Tout ça, quoi.Il savait qu’on en arriverait là. Il se remit à transpirer et ça m’écœura. Desauréo<strong>le</strong>s étaient apparues sous ses bras. Il se fit suppliant. Je n’eus plus aucunesympathie pour lui. Il me dégoûtait. J’aurais même honte de lui tirer une claque.- C’est qu’j’sais pas. Je peux fumer ?Je ne répondis pas. J’ouvris la porte du bureau et fis signe au planton de venir.- Favier, embarque-moi ce type.- J’vous jure. J’sais pas.- Sanchez, tu veux que j’y croie à ton Toni ? Dis-moi où <strong>le</strong> trouver. Sinon,qu’est-ce que tu veux que j’en pense, moi ? Hein ? Que tu te fous de ma gueu<strong>le</strong>.
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le téléphone personnel de Pérol.
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Le monde se remettait en ordre. Nos