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3 - Où l’honneur des survivants, c’est de survivre.Une brume de cha<strong>le</strong>ur enveloppait Marseil<strong>le</strong>. Je roulais sur l’autoroute, vitresouvertes. J’avais mis une cassette de B.B. King. Le son au maximum. Rien que lamusique. Je ne voulais pas penser. Pas encore. Seu<strong>le</strong>ment faire <strong>le</strong> vide dans ma tête,repousser <strong>le</strong>s questions qui affluaient. Je revenais d’Aix et tout ce que je craignais seconfirmait. Leila avait vraiment disparu.J’avais erré dans une fac déserte à la recherche du secrétariat. Avant d’al<strong>le</strong>r àla cité universitaire, j’avais besoin de savoir si Leila avait eu sa maîtrise. La réponseétait oui. Avec mention. El<strong>le</strong> avait disparu, après. Sa vieil<strong>le</strong> Fiat Panda rouge étaitgarée sur <strong>le</strong> parking. J’y avais jeté un œil, mais rien ne traînait à l’intérieur. Ou el<strong>le</strong>était en panne, ce que je n’avais pas vérifié, et el<strong>le</strong> était partie en bus, ou quelqu’unétait venu la chercher.Le gardien, un petit bonhomme rondouillard, une casquette rivée sur la tête,m’ouvrit la chambre de Leila. Il se rappelait l’avoir vue revenir, pas repartir. Mais ils’était absenté vers 18 heures.- El<strong>le</strong> a fait rien de mal ?- Non, rien. El<strong>le</strong> a disparu.- Merde, il avait fait, en se grattant la tête. Une gentil<strong>le</strong> fil<strong>le</strong>, cette petite. Etpolie. Pas comme certaines Françaises.- El<strong>le</strong> est française.- C’est pas ce que je voulais dire, m’sieur.Il se tut. Je l’avais vexé. Il resta devant la porte pendant que j’examinais lachambre. Il n’y avait rien à chercher. Juste avoir cette conviction que Leila ne s’étaitpas envolée pour Acapulco, comme ça, pour changer d’air. Le lit était fait. Au-dessusdu lavabo, brosse à dents, dentifrice, produits de beauté. Dans <strong>le</strong> placard, sesaffaires, rangées. Un sac de linge sa<strong>le</strong>. Sur une tab<strong>le</strong>, des feuil<strong>le</strong>s de papier, descahiers, et des bouquins.Celui que je cherchais était là. Le Bar d’esca<strong>le</strong>, de Louis Brauquier. Lapremière édition, de 1926, sur vergé pur Lafuma, édité par la revue Le Feu. Numéroté36. Je <strong>le</strong> lui avais offert.C’était la première fois que je me séparais d’un des <strong>livre</strong>s qui étaient chez moi.Ils appartenaient autant à Manu et Ugo qu’à moi. Ils représentaient <strong>le</strong> trésor de notreado<strong>le</strong>scence. J’avais souvent rêvé qu’un jour, ils nous réunissent tous <strong>le</strong>s trois. Le jouroù Manu et Ugo m’auraient enfin pardonné d’être flic. Le jour où j’aurais admis qu’ilétait plus faci<strong>le</strong> d’être flic que délinquant, et où j’aurais pu <strong>le</strong>s embrasser comme desfrères qu’on retrouve, <strong>le</strong>s larmes aux yeux. Je savais que ce jour-là, je lirais ce poèmede Brauquier qui s’achevait par ces vers :Longtemps je t’ai cherchéenuit de la nuit perdue.Les poèmes de Brauquier, nous <strong>le</strong>s avions découverts chez Antonin. Eaudouce pour navire, L’au-delà de Suez, Liberté des mers. Nous avions dix-sept ans. Età cette époque, <strong>le</strong> vieux bouquiniste se re<strong>le</strong>vait mal d’une crise cardiaque. À tour derô<strong>le</strong>, nous tenions la boutique. Pendant ce temps-là, on ne claquait pas notre fric auxflippers. Et en plus on pataugeait dans notre grande passion, <strong>le</strong>s vieux bouquins. Lesromans, <strong>le</strong>s récits de voyage, <strong>le</strong>s poèmes que j’ai lus ont une odeur particulière. Cel<strong>le</strong>

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