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orgueil. Quant à votre soi-disant bagarre, j’ai fait ma petite enquête. Plusieurs témoinsaffirment que c’est <strong>le</strong> plaignant, un petit camé homosexuel, qui aurait agressé monclient à la sortie d’un bar.Je sentais la plaidoirie arriver. Je voulus <strong>le</strong> couper.- Continuez, maître, dit <strong>le</strong> patron, m’intimant <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce d’un signe de la main.Je laissai la cendre de ma cigarette tomber par terre.On eut droit à l’enfance malheureuse de son « client ». Brunel s’occupait deMourrabed depuis moins d’un an. Des enfants comme lui méritaient une chance. Ildéfendait plusieurs « clients » dans son cas. Des Arabes, comme Mourrabed, etquelques autres avec des noms bien français. Les jurés en auraient <strong>le</strong>s larmes auxyeux, c’était sûr.Et la plaidoirie arriva :- C’est à quatorze ans que mon client quitte l’appartement de son père. Il n’y aplus sa place. Il va vivre dans la rue. Très vite, il apprendra à se débrouil<strong>le</strong>r seul, à necompter que sur lui. À cogner aussi. À cogner dur pour survivre. Voilà dans quel<strong>le</strong>désespérance il va continuer à grandir.À ce rythme-là, me dis-je, j’allais péter <strong>le</strong>s plombs. J’allais me jeter sur Brune<strong>le</strong>t lui faire bouffer sa carte du Front national ! Mais l’heure tournait et, avec sessalades, je gagnais du temps. Brunel continuait. Il en était côté avenir. Travail, famil<strong>le</strong>,patrie :- El<strong>le</strong> s’appel<strong>le</strong> Jocelyne. El<strong>le</strong> est d’une cité, el<strong>le</strong> aussi. La Bricarde. Mais el<strong>le</strong> aune vraie famil<strong>le</strong>. Son père est ouvrier aux cimenteries Lafarge. Sa mère, femme deservice à l’hôpital Nord. Jocelyne a été une lycéenne studieuse, sage. El<strong>le</strong> prépare unCAP de coiffure. C’est sa petite fiancée. El<strong>le</strong> l’aime et el<strong>le</strong> l’aide. El<strong>le</strong> sera la mère qu’iln’a pas connue. La femme dont il rêve. Ensemb<strong>le</strong>, ils prendront un appartement.Ensemb<strong>le</strong>, ils construiront un coin de paradis. Oui, monsieur ! dit-il en me voyantsourire.Je n’avais pu m’en empêcher. C’était trop. Mourrabed en pantouf<strong>le</strong>s. Devant latélé. Avec trois mouf<strong>le</strong>ts sur <strong>le</strong>s genoux. Mourrabed smicard bienheureux !- Vous savez, dit Brunel, prenant mon patron à témoin, ce que ce jeunehomme, ce délinquant, m’a raconté un jour ? Tu vois, m’a-t-il dit, plus tard, avec mafemme, on habitera un immeub<strong>le</strong> où, à l’entrée, il y aura une plaque en marbre, avecun « R » en <strong>le</strong>ttre dorée. Le « R » de résidence, comme il y en a vers Saint-Tronc,Saint-Marcel et la Gavotte. Voilà son rêve.Passer des quartiers Nord au quartier Est. Une fabu<strong>le</strong>use ascension socia<strong>le</strong> !- Je vais vous dire à quoi il rêve, Mourrabed, <strong>le</strong> coupai-je. Parce que, là, j’étaisprêt à dégueu<strong>le</strong>r. Il rêve casse, pognon. Il rêve grosse bagno<strong>le</strong>, costard et bagouse. Ilrêve ce que vous représentez. Mais il n’a pas sa tchatche à vendre, comme vous.Rien que de la came. Fournie par des mecs aussi bien nippés que vous.- Monta<strong>le</strong> ! hurla <strong>le</strong> patron.- Eh quoi ! criai-je à mon tour. Je sais pas où el<strong>le</strong> était sa petite fiancée, l’autresoir. Ce que je peux vous dire, c’est que lui il était en train de niquer une fugueuse deseize ans ! Après avoir éclaté la tête d’un type qui avait juste <strong>le</strong>s cheveux un peu troplongs. Et pour faire bon poids, ils s’y sont mis à trois. Des fois que… l’homosexuel,comme vous dites, il sache se battre. J’ai rien, personnel<strong>le</strong>ment, contre Mourrabed,mais ça m’aurait pas déplu qu’il se fasse mettre par un pédé !Et j’écrasai ma cigarette par terre.Brunel était resté imperturbab<strong>le</strong>. Un sourire discret sur <strong>le</strong>s lèvres. Ilm’enregistrait. Il voyait déjà ses potes m’allumer. Me faire bouffer la langue. Me faireexploser la tête. Il ajusta <strong>le</strong> nœud de sa cravate, pourtant impeccab<strong>le</strong>, et se <strong>le</strong>va, l’airsincèrement contrit.

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