1 - Où même pour perdre il faut savoir se battre.Je m’accroupis devant <strong>le</strong> cadavre de Pierre Ugolini. Ugo. Je venais d’arriver sur<strong>le</strong>s lieux. Trop tard. Mes collègues avaient joué <strong>le</strong>s cow-boys. Quand ils tiraient, ilstuaient. C’était aussi simp<strong>le</strong>. Des adeptes du général Custer. Un bon Indien, c’est unIndien mort. Et à Marseil<strong>le</strong>, des Indiens, il n’y avait que ça, ou presque.Le dossier Ugolini avait atterri sur <strong>le</strong> mauvais bureau. Celui du commissaireAuch. En quelques années, son équipe s’était taillé une sa<strong>le</strong> réputation, mais el<strong>le</strong>avait fait ses preuves. On savait fermer <strong>le</strong>s yeux sur ses dérapages, à l’occasion. Larépression du grand banditisme est à Marseil<strong>le</strong> une priorité. La seconde, c’est <strong>le</strong>maintien de l’ordre dans <strong>le</strong>s quartiers nord. Les banlieues de l’immigration. Les citésinterdites. Ça, c’était mon job. Mais, moi, je n’avais pas droit aux bavures.Ugo, c’était un vieux copain d’enfance. Comme Manu. Un ami. Même si Ugo etmoi on ne s’était plus parlé depuis vingt ans. Manu, Ugo, je trouvais que ça cartonnaitdur sur mon passé. J’avais voulu éviter ça. Mais je m’y étais mal pris.Quand j’appris qu’Auch était chargé d’enquêter sur la présence d’Ugo àMarseil<strong>le</strong>, je mis un de mes indics sur <strong>le</strong> coup. Franckie Malabe. Je lui faisaisconfiance. Si Ugo venait à Marseil<strong>le</strong>, il irait chez Lo<strong>le</strong>. C’était évident. Malgré <strong>le</strong> temps.Et Ugo, j’étais sûr qu’il viendrait. Pour Manu. Pour Lo<strong>le</strong>. L’amitié a ses règ<strong>le</strong>s, on n’ydéroge pas. Ugo, je l’attendais. Depuis trois mois. Parce que pour moi aussi, la mortde Manu, on ne pouvait pas en rester là. Il fallait une explication. Il fallait un coupab<strong>le</strong>.Et une justice. Je voulais rencontrer Ugo pour par<strong>le</strong>r de ça. De la justice. Moi <strong>le</strong> flic etlui <strong>le</strong> hors-la-loi. Pour éviter <strong>le</strong>s conneries. Pour <strong>le</strong> protéger d’Auch. Mais pour trouverUgo, je devais retrouver Lo<strong>le</strong>. Depuis la mort de Manu, j’avais perdu sa trace.Franckie Malabe fut efficace. Mais ses informations, c’est à Auch qu’il en offritla primeur. Je ne <strong>le</strong>s eus qu’en sous-main, et <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain. Après qu’il eut tournéautour de Lo<strong>le</strong> au Vamping. Auch était puissant. Dur. Les indics <strong>le</strong> craignaient. Et <strong>le</strong>sindics, en vraies foutues salopes, naviguaient à vue sur <strong>le</strong>urs petits intérêts. J’auraisdû <strong>le</strong> savoir.L’autre erreur fut de ne pas être allé voir Lo<strong>le</strong> moi-même, l’autre soir. Jemanque parfois de courage. Je n’avais pu m’y résoudre, à me pointer comme ça auVamping, trois mois après. Trois mois après cette nuit qui suivit la mort de Manu. Lo<strong>le</strong>ne m’aurait même pas adressé la paro<strong>le</strong>. Peut-être. Peut-être que, en me voyant, el<strong>le</strong>aurait compris <strong>le</strong> message. Qu’Ugo, lui, aurait compris.Ugo. Il me fixait de ses yeux morts, un sourire sur <strong>le</strong>s lèvres. Je fermai sespaupières. Le sourire survécut. Survivrait.Je me redressai. Ça s’activait autour de moi. Orlandi s’avança, pour <strong>le</strong>s photos.Je regardai <strong>le</strong> corps d’Ugo. Sa main ouverte et, dans <strong>le</strong> prolongement, <strong>le</strong> Smith etWesson qui avait glissé sur la marche. Photo. Que s’était-il vraiment passé ?S’apprêtait-il à faire feu ? Y avait-il eu <strong>le</strong>s sommations d’usage ? Je ne <strong>le</strong> sauraijamais. Ou en enfer, un jour, quand je rencontrerai Ugo. Car des témoins, il n’y auraque ceux choisis par Auch. Ceux du quartier, ils s’écraseront. Leur paro<strong>le</strong> ne valaitrien. Je tournai <strong>le</strong>s yeux. Auch venait de faire son apparition. Il s’approcha de moi.- Désolé, Fabio. Pour ton copain.- Va te faire foutre.Je remontai la rue des Cartiers. Je croisai Morvan, <strong>le</strong> tireur d’élite de l’équipe.Une gueu<strong>le</strong> à la Lee Marvin. Une gueu<strong>le</strong> de tueur, pas de flic. Je mis dans mon regardtout ce que j’avais de haine. Il ne baissa pas <strong>le</strong>s yeux. Pour lui, je n’existais pas. Je
n’étais rien. Rien qu’un flic de banlieue.En haut de la rue, des beurs suivaient la scène.- Cassez-vous <strong>le</strong>s mômes.Ils se regardèrent. Regardèrent <strong>le</strong> plus vieux de la bande. Regardèrent lamoby<strong>le</strong>tte par terre, derrière eux. La moby<strong>le</strong>tte abandonnée par Ugo. Quand il fut prisen chasse, j’étais à la terrasse du Bar du Refuge. À surveil<strong>le</strong>r la maison de Lo<strong>le</strong>. Jem’étais enfin décidé à bouger. Trop de temps passait. Cela devenait dangereux.Personne n’était à l’appartement. Mais j’étais prêt à attendre Lo<strong>le</strong> ou Ugo <strong>le</strong> tempsqu’il fallait. Ugo passa à deux mètres de moi.- Tu t’appel<strong>le</strong>s comment ?- Djamel.- C’est ta mob ? Il ne répondit pas. Tu la ramasses, et tu te tires. Pendant qu’ilssont encore occupés.Personne ne bougea. Djamel me regardait, perp<strong>le</strong>xe.- Tu la nettoies, et tout. Et tu la mets à l’abri, quelques jours. T’as compris ?Je <strong>le</strong>ur tournai <strong>le</strong> dos et partis vers ma voiture. Sans me retourner. J’allumaiune cigarette, une Winston, puis la jetai. Un goût dégueulasse. Depuis un mois,j’essayais de passer des Gauloises aux blondes, pour moins tousser. Dans <strong>le</strong>rétroviseur je m’assurai qu’il n’y avait plus de moby<strong>le</strong>tte, et plus de beurs. Je fermai<strong>le</strong>s yeux. J’avais envie de chia<strong>le</strong>r.De retour au bureau, on m’informa pour Zucca. Et du tueur en moby<strong>le</strong>tte. Zuccan’était pas un « patron » du Milieu, mais un pilier, essentiel, depuis que <strong>le</strong>s chefsétaient morts, en prison, ou en cava<strong>le</strong>. Zucca mort, c’était tout bénef, pour nous <strong>le</strong>sflics. Enfin, pour Auch. Je fis <strong>le</strong> lien avec Ugo, immédiatement. Mais je n’en dis rien àpersonne. Qu’est-ce que ça changeait ? Manu était mort. Ugo était mort. Et Zucca nevalait pas une larme.Le ferry pour Ajaccio quitta la darse 2. Le Monte-d’Oro. Le seul avantage demon bureau miteux de l’Hôtel de Police est d’avoir une fenêtre ouvrant sur <strong>le</strong> port dela Joliette. Les ferries, c’est presque tout ce qu’il reste de l’activité du port. Ferriespour Ajaccio, Bastia, Alger. Quelques paquebots aussi. Pour des croisières dutroisième âge. Et du fret, encore pas mal. Marseil<strong>le</strong> demeurait <strong>le</strong> troisième portd’Europe. Loin devant Gênes, sa riva<strong>le</strong>. Au bout du mô<strong>le</strong> Léon Manque Gousset, <strong>le</strong>spa<strong>le</strong>ttes de bananes et d’ananas de Côte-d’Ivoire me semblaient être des gagesd’espoir pour Marseil<strong>le</strong>. Les derniers.Le port intéressait sérieusement <strong>le</strong>s promoteurs immobiliers. Deux centshectares à construire, un sacré pacto<strong>le</strong>. Ils se voyaient bien transférer <strong>le</strong> port à Fos etconstruire un nouveau Marseil<strong>le</strong> en bord de mer. Ils avaient déjà <strong>le</strong>s architectes et <strong>le</strong>sprojets allaient bon train. Moi, je n’imaginais pas Marseil<strong>le</strong> sans ses darses, seshangars vieillots, sans bateaux. J’aimais <strong>le</strong>s bateaux. Les vrais, <strong>le</strong>s gros. J’aimais <strong>le</strong>svoir évoluer. Chaque fois, j’avais un pincement au cœur. Le Vil<strong>le</strong> de Nap<strong>le</strong>s sortait duport. Tout en lumière. J’étais sur <strong>le</strong> quai. En larmes. À bord, Sandra, ma cousine.Avec ses parents, ses frères, ils avaient fait esca<strong>le</strong> deux jours à Marseil<strong>le</strong>. Ilsrepartaient pour Buenos Aires. Sandra, je l’aimais. J’avais neuf ans. Je ne l’avais plusrevue. El<strong>le</strong> ne m’avait jamais écrit. Heureusement, ce n’était pas ma seu<strong>le</strong> cousine.Le ferry s’était engagé dans <strong>le</strong> bassin de la grande Joliette. Il glissa derrière lacathédra<strong>le</strong> de La Major. Le so<strong>le</strong>il couchant donnait enfin un peu de cha<strong>le</strong>ur à la pierregrise, lourde de crasse. C’est à ces heures-là du jour que La Major, aux rondeursbyzantines, trouvait sa beauté. Après, el<strong>le</strong> redevenait ce qu’el<strong>le</strong> a toujours été : unechierie vaniteuse du Second Empire. Je suivis <strong>le</strong> ferry des yeux. Il évolua avec<strong>le</strong>nteur. Il se mit parallè<strong>le</strong> à la digue Sainte-Marie. Face au large. Pour <strong>le</strong>s touristes,
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devienne amis, mais j’aimais bien
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orgueil. Quant à votre soi-disant
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l’Astra spécial en poche. Je lui
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point. Ce qui est rare. Habituellem
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plantai mes yeux dans ceux de Batis
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Françoise. Il était obligé de pa
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sûr que les parents de Karine, sur
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Tanagra. L’un des truands abattu
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le téléphone personnel de Pérol.
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Le monde se remettait en ordre. Nos