qui avaient transité une journée à Marseil<strong>le</strong>, peut-être une nuit, la traverséecommençait. Demain matin, ils seraient sur l’î<strong>le</strong> de Beauté. De Marseil<strong>le</strong>, ils garderont<strong>le</strong> souvenir du Vieux-Port. De Notre-Daine de la Garde, qu’el<strong>le</strong> domine. De laCorniche, peut-être. Et du palais du Pharo, qu’ils découvraient maintenant sur <strong>le</strong>urgauche.Marseil<strong>le</strong> n’est pas une vil<strong>le</strong> pour touristes. Il n’y a rien à voir. Sa beauté ne sephotographie pas. El<strong>le</strong> se partage. Ici, il faut prendre partie. Se passionner. Être pour,être contre. Être, vio<strong>le</strong>mment. Alors seu<strong>le</strong>ment ce qui est à voir se donne à voir. Et là,trop tard, on est en p<strong>le</strong>in drame. Un drame antique où <strong>le</strong> héros c’est la mort. ÀMarseil<strong>le</strong>, même pour perdre il faut savoir se battre.Le ferry n’était plus qu’une tache sombre dans <strong>le</strong> so<strong>le</strong>il couchant. J’étais tropflic pour prendre la réalité au pied de la <strong>le</strong>ttre. Des choses m’échappaient. Par qui Ugoavait-il su aussi vite pour Zucca ? Zucca avait-il vraiment commandité l’assassinat deManu ? Pourquoi ? Et pourquoi Auch n’avait-il pas alpagué Ugo hier soir ? Ou cematin ? Et où était Lo<strong>le</strong> à cette heure ?Lo<strong>le</strong>. Comme Manu et Ugo, je ne l’avais pas vue grandir. Devenir femme. Puis,comme eux, je l’avais aimée. Mais sans pouvoir prétendre à el<strong>le</strong>. Je n’étais pas duPanier. J’y étais né, mais dès que j’eus deux ans, mes parents s’installèrent à laCape<strong>le</strong>tte, un quartier de Ritals. Avec Lo<strong>le</strong>, on pouvait être copain-copain, et c’étaitdéjà avoir beaucoup de chance. Ma chance, ce fut Manu et Ugo. D’être ami avec eux.J’avais encore de la famil<strong>le</strong> au quartier, rue des Cordel<strong>le</strong>s. Deux cousins, etune cousine. Angè<strong>le</strong>. Gélou, c’était une grande. Presque dix-sept ans. El<strong>le</strong> venaitsouvent chez nous. El<strong>le</strong> aidait ma mère, qui ne se <strong>le</strong>vait déjà presque plus. Après ilfallait que je la raccompagne. Ça ne craignait pas vraiment à cette époque, maisGélou, el<strong>le</strong> n’aimait pas rentrer seu<strong>le</strong>. Moi, ça me plaisait bien de me promener avecel<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> était bel<strong>le</strong> et j’étais plutôt fier quand el<strong>le</strong> me donnait <strong>le</strong> bras. Le problème,c’est quand on arrivait aux Accou<strong>le</strong>s. Je n’aimais pas al<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> quartier. C’étaitsa<strong>le</strong>, ça puait. J’avais honte. Et surtout j’avais la trouil<strong>le</strong>. Pas avec el<strong>le</strong>. Quand jerevenais, seul. Gélou, el<strong>le</strong> savait ça et el<strong>le</strong> s’en amusait. Je n’osais pas demander àses frères de me raccompagner. Je repartais presque en courant. Les yeux baissés. Ily avait souvent des gosses de mon âge au coin de la rue du Panier et de la rue desMuettes. Je <strong>le</strong>s entendais rire à mon passage. Parfois ils me sifflaient, comme unefil<strong>le</strong>.Un soir, c’était à la fin de l’été, Gélou et moi, on remontait la rue des Petits-Moulins. Bras-dessus bras-dessous. Comme des amoureux. Son sein frôlait <strong>le</strong> dos dema main. Ça me grisait. J’étais heureux. Puis je <strong>le</strong>s avais aperçus, tous <strong>le</strong>s deux. Je<strong>le</strong>s avais déjà croisés plusieurs fois. On devait être du même âge. Quatorze ans. Ilsvenaient vers nous, un mauvais sourire aux lèvres. Gélou me serra <strong>le</strong> bras plus fort etje sentis la cha<strong>le</strong>ur de son sein sur ma main.À notre passage ils s’écartèrent. Le plus grand du côté de Gélou. Le plus petitde mon côté. De son épau<strong>le</strong>, il me bouscula en riant très fort. Je lâchai <strong>le</strong> bras deGélou :- Hé ! L’Espingoin !Il se retourna, surpris. Je lui donnai un coup de poing dans l’estomac qui <strong>le</strong> pliaen deux. Puis je <strong>le</strong> re<strong>le</strong>vai d’un gauche en p<strong>le</strong>ine figure. Un de mes onc<strong>le</strong>s m’avait unpeu appris la boxe, mais je me battais pour la première fois. Il était allongé par terre,reprenant son souff<strong>le</strong>. L’autre n’avait pas bougé. Gélou non plus. El<strong>le</strong> regardait.Apeurée. Et subjuguée, je crois. Je m’approchai, menaçant :- Alors, l’Espingoin, t’en as assez ?- T’as pas à l’appe<strong>le</strong>r comme ça, dit l’autre dans mon dos.- T’es quoi, toi ? Rital ?
- Qu’est-ce que ça change ?Je sentis <strong>le</strong> sol disparaître sous mes pieds. Sans se re<strong>le</strong>ver, il m’avait crochetéla jambe. Je me retrouvai sur <strong>le</strong> cul. Il se jeta sur moi. Je vis que sa lèvre était fendue.Qu’il saignait. On roula l’un sur l’autre. Les odeurs de pisse et de merdem’envahissaient <strong>le</strong>s narines. J’eus envie de p<strong>le</strong>urer. D’arrêter. De poser ma têtecontre <strong>le</strong>s seins de Gélou. Puis je sentis qu’on me tirait vio<strong>le</strong>mment par <strong>le</strong> dos, àcoups de taloches sur la tête. Un homme nous séparait en nous traitant de voyous, etque même on finirait « aux galères ». Je ne <strong>le</strong>s revis plus. Jusqu’en septembre. On seretrouva dans la même éco<strong>le</strong>, rue des Remparts. En classe de CAP. Ugo vint meserrer la main, puis Manu. On parla de Gélou. Pour eux, c’était la plus bel<strong>le</strong> de tout <strong>le</strong>quartier.Il était plus de minuit quand j’arrivai chez moi. J’habitais en dehors de Marseil<strong>le</strong>.Les Goudes. L’avant-dernier petit port avant <strong>le</strong>s calanques. On longe la Corniche,jusqu’à la plage du Roucas Blanc, puis on continue en suivant la mer. La Vieil<strong>le</strong>-Chapel<strong>le</strong>. La Pointe-Rouge. La Campagne Pastrée. La Grotte-Roland. Autant dequartiers comme des villages encore. Puis la Madrague de Montredon. Marseil<strong>le</strong>s’arrête là. Apparemment. Une petite route sinueuse, taillée dans la roche blanche,surplombe la mer. Au bout, abrité par des collines arides, <strong>le</strong> port des Goudes. La routese termine un kilomètre plus loin. À Cal<strong>le</strong>longue, impasse des Muets. Derrière, <strong>le</strong>scalanques de Sormiou, Morgiou, Sugitton, En-Vau. De vraies merveil<strong>le</strong>s. Comme onn’en trouve pas sur toute la côte. On ne peut y al<strong>le</strong>r qu’à pied. Ou en bateau. C’est çala chance. Après, bien après, il y a <strong>le</strong> port de Cassis. Et <strong>le</strong>s touristes.Ma maison, c’est un cabanon. Comme presque toutes <strong>le</strong>s maisons ici. Desbriques, des planches et quelques tui<strong>le</strong>s. Le mien était construit sur <strong>le</strong>s rochers, audessusde la mer. Deux pièces. Une petite chambre et une grande sal<strong>le</strong> à mangercuisine,meublées simp<strong>le</strong>ment, de bric et de broc. Une succursa<strong>le</strong> d’Emmaüs. Monbateau était amarré huit marches plus bas. Un bateau de pêcheur, un pointu, quej’avais acheté à Honorine, ma voisine. Ce cabanon, je l’avais hérité de mes parents.C’était <strong>le</strong>ur seul bien. Et j’étais <strong>le</strong>ur fils unique.Nous y venions <strong>le</strong>s samedis, en famil<strong>le</strong>. Il y avait de grands plats de pâtes, ensauce, avec des alouettes sans tête et des bou<strong>le</strong>ttes de viandes cuites dans cettesauce. Les odeurs de tomates, de basilic, de thym, de laurier emplissaient <strong>le</strong>s pièces.Les bouteil<strong>le</strong>s de vin rosé circulaient entre <strong>le</strong>s rires. Les repas se terminaient toujourspar des chansons, d’abord cel<strong>le</strong>s de Marino Marini, de Renato Carressone, puis <strong>le</strong>schansons du pays. Et en dernier, toujours, Santa Lucia, que chantait mon père.Après, <strong>le</strong>s hommes se mettaient à la belote. Toute la nuit. Jusqu’à ce que l’und’eux se fâche, jette <strong>le</strong>s cartes. « Fan ! Y va falloir lui mettre <strong>le</strong>s sangsues ! », criaitquelqu’un. Et la rigolade repartait. Les matelas étaient par terre. On se partageait <strong>le</strong>slits. Nous, <strong>le</strong>s enfants, on dormait dans <strong>le</strong> même lit, en travers. J’appuyais ma têtecontre <strong>le</strong>s seins naissants de Gélou et m’endormais heureux. Comme un enfant. Avecdes rêves de grand.Les fêtes se terminèrent à la mort de ma mère. Mon père ne mit plus <strong>le</strong>s piedsaux Goudes. Venir aux Goudes, il y a encore trente ans, c’était tout une expédition. Ilfallait prendre <strong>le</strong> 19, place de la Préfecture, au coin de la rue Armeny, jusqu’à laMadrague de Montredon. Là, on continuait la route dans un vieil autocar, dont <strong>le</strong>chauffeur avait largement dépassé l’âge de la retraite. Avec Manu et Ugo, oncommença à y al<strong>le</strong>r vers seize ans. Nous n’y emmenions jamais <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s. C’était ànous. Notre repaire. Nous ramenions au cabanon tous nos trésors. Des <strong>livre</strong>s, desdisques. Nous inventions <strong>le</strong> monde. À notre mesure, et à notre image. Nous avonspassé des journées entières à nous lire <strong>le</strong>s aventures d’Ulysse. Puis, la nuit tombée,
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Françoise. Il était obligé de pa
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C’est ça qu’ils avaient dû lu
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sûr que les parents de Karine, sur
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le téléphone personnel de Pérol.
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pourtant ça que j’avais envie de
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ÉpilogueRien ne change, et c’est
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