- Allo. Une voix d’homme, avec un léger accent corse. Émi<strong>le</strong> ? Jospeh ? Tonin’est pas là ? Ou sa sœur ?- Je peux prendre un message ?On raccrocha.- Karine a appelé Toni ce soir ?- Oui, répondit Jasmine. Pour qu’il vienne. Qu’c’était urgent. El<strong>le</strong> a un numéro,pour <strong>le</strong> joindre. El<strong>le</strong> laisse un message. Il rappel<strong>le</strong>.J’allai dans la chambre. Ils étaient allongés l’un contre l’autre. Karine ne p<strong>le</strong>uraitplus. Driss s’était endormi, en lui tenant la main. Ils étaient adorab<strong>le</strong>s. Je souhaitaiqu’ils traversent la vie avec ce tendre abandon.Les yeux de Karine étaient grands ouverts. Un regard hagard. El<strong>le</strong> était encoreen enfer. Je ne savais plus dans quel<strong>le</strong> chanson Barbara disait : Je préfère vivre enenfer, qu’être mort au paradis. Ou quelque chose comme ça. Qu’est-ce que Karinesouhaitait à cet instant ?- C’est quoi <strong>le</strong> numéro où t’as appelé Toni, tout à l’heure ? lui demandai-je àvoix basse.- C’est qui qu’a appelé ?- Des copains à ton frère, je crois.La peur passa dans ses yeux.- Ils vont venir ?- T’inquiète, dis-je en secouant la tête. Tu <strong>le</strong>s connais ?- Deux. Un avec une sa<strong>le</strong> tête, l’autre, un grand baraqué. On dirait un militaire.Tous <strong>le</strong>s deux, ils ont une sa<strong>le</strong> tête. Le militaire, il a des yeux bizarres.Morvan et Wep<strong>le</strong>r.- Tu <strong>le</strong>s as vus souvent ?- Une fois. Mais j’<strong>le</strong>s ai pas oubliés. On prenait un verre avec Toni, à la terrassedu Bar de l’Hôtel de Vil<strong>le</strong>. Y s’sont assis à notre tab<strong>le</strong>, sans demander si ça gênait. Lemilitaire, il a dit : « El<strong>le</strong> est mignonne, ta sœur ». Ça m’a pas plu, comment il a dit ça.Ni comment il m’a regardée.- Et Toni ?- Il a ri, mais il était mal à l’aise, je crois. « Faut qu’on par<strong>le</strong> affaires », il m’a dit.Une manière d’me demander de me tirer. L’a même pas osé m’embrasser.« J’t’appel<strong>le</strong> », qu’il a fait. L’autre, j’ai senti son regard dans mon dos. J’avais honte.- C’était quand ?- La semaine dernière, mercredi. Mercredi midi. Le jour où Leila passait samaîtrise. Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?Driss avait lâché la main de Karine et s’était retourné. Il ronflait légèrement. Parmoments, il était secoué de légers tremb<strong>le</strong>ments. J’avais mal pour lui. Pour eux. Il <strong>le</strong>urfaudrait vivre avec ce cauchemar. Est-ce qu’ils <strong>le</strong> pourraient, Karine et Driss ? Kaderet Jasmine ? Je devais <strong>le</strong>s aider. Les libérer de ces putains d’images qui viendraientpourrir <strong>le</strong>urs nuits. Vite. Et Driss en premier.- Qu’est-ce qui va se passer maintenant, répéta Karine.- Se remuer. Tes parents, ils sont où ?- À Gardanne.C’était pas loin d’Aix. La dernière vil<strong>le</strong> minière du département. Condamnée,comme tous <strong>le</strong>s hommes qui y travaillaient.- Ton père y bosse ?- L’ont viré, y a deux ans. Il milite au Comité de défense. Avec la CGT.- Ça va avec eux ?El<strong>le</strong> haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.- J’ai grandi sans qu’ils s’en aperçoivent. Toni aussi. Nous éduquer, c’était
construire un monde meil<strong>le</strong>ur. Mon père… El<strong>le</strong> s’arrêta, pensive. Puis el<strong>le</strong> reprit :Quand t’as trop souffert, trop compté <strong>le</strong>s sous, tu vois plus rien d’la vie. Tu pensesqu’à la changer. Une obsession. Toni, il aurait pu comprendre, je crois. Mon père, aulieu de lui dire je peux pas te payer d’mob, il lui a fait un discours. Qu’à son âge, demob il en avait pas. Qu’y avait des choses plus importantes dans la vie, qu’<strong>le</strong>s mobs.Le cirque, tu vois. Chaque fois, c’était la même chose. Les discours. Les prolos, <strong>le</strong>scapitalistes, <strong>le</strong> Parti. Pour des fringues, l’argent de poche, la bagno<strong>le</strong>.« La troisième fois qu’<strong>le</strong>s flics y sont venus à la maison, mon père, il a viré Toni.Après, j’sais pas ce qu’il est devenu. Enfin, si je sais. Ça m’plaisait pas. Comment ilétait devenu. Tout ça. Les gens qu’ils fréquentaient. Les propos qu’ils tenaient sur <strong>le</strong>sArabes. J’sais pas s’il <strong>le</strong> pensait vraiment. Ou si c’était…- Et Leila ?- J’avais envie qu’il rencontre mes amis, qu’il découvre d’autres gens. Jasmine,Leila. Ils <strong>le</strong>s avaient croisées, une fois ou deux. Kader et Driss aussi. Et quelquesautres. Je l’ai invité pour mon anniversaire, <strong>le</strong> mois dernier. Leila, el<strong>le</strong> lui a plu. T’saiscomment c’est. On danse, on boit, on par<strong>le</strong>, on drague. Leila et lui ont beaucoupparlé, ce soir-là. Bon, il avait envie de l’embarquer, c’est sûr. Mais Leila, el<strong>le</strong> voulaitpas. El<strong>le</strong> est restée dormir ici, avec Driss.« Il l’a revue, après. Quatre-cinq fois, je pense. À Aix. Un verre à une terrasse,une bouffe, un ciné. C’est pas allé plus loin. Leila, el<strong>le</strong> faisait ça pour moi, je crois.Plus que pour lui. El<strong>le</strong> l’aimait pas trop, Toni. J’lui en avais pas mal parlé. Qu’il étaitpas ce qu’il avait l’air. J’<strong>le</strong>s ai poussés l’un vers l’autre. J’me disais qu’el<strong>le</strong> pourrait <strong>le</strong>faire changer. Moi, j’y arrivais pas. J’voulais d’un frère dont j’aurais pas honte. Quej’aurais pu aimer. Comme Kader et Driss. Son regard s’envola je ne sais où. VersLeila. Vers Toni. Ses yeux revinrent vers moi. J’sais qu’vous, el<strong>le</strong> vous aimait. El<strong>le</strong>parlait souvent de vous.« El<strong>le</strong> pensait vous appe<strong>le</strong>r. Après sa maîtrise. El<strong>le</strong> était sûre de l’avoir. El<strong>le</strong>avait envie de vous revoir. El<strong>le</strong> m’avait dit : « Maintenant, je peux. Je suis unegrande. »Karine rit, puis <strong>le</strong>s larmes revinrent dans ses yeux et el<strong>le</strong> se blottit contre moi.- Al<strong>le</strong>z, je dis. Ça va al<strong>le</strong>r.- J’comprends rien de ce qui s’est passé.La vérité, on ne la saura jamais. Il ne pouvait y avoir que des hypothèses. Lavérité appartenait à l’horreur. Je pouvais supposer que Toni avait été aperçu avecLeila à Aix. Par un de la bande. Par <strong>le</strong>s pires, selon moi. Morvan. Wep<strong>le</strong>r. Lesfanatiques de la race blanche. Des épurations ethniques. Des solutions fina<strong>le</strong>s. Etqu’ils avaient dû mettre Toni à l’épreuve. Comme un bizutage. Pour l’é<strong>le</strong>ver au gradesupérieur.Chez <strong>le</strong>s paras, on aimait ça. Ces trucs dingues. Niquer un mec de la chambrevoisine. Faire une virée dans un bar de la Légion, en tuer un, et ramener son képi enguise de trophée. Se faire un ado qui a une allure de tantouze. Ils avaient signé avecla mort. La vie n’avait aucun prix. Ni la <strong>le</strong>ur ni encore moins cel<strong>le</strong> des autres. ÀDjibouti, j’en avais croisé des dingues, pires qu’eux. Laissant <strong>le</strong>s putes mortes après<strong>le</strong>ur passage, dans <strong>le</strong>s quartiers de l’ancienne place Rimbaud. Le cou tranché.Mutilées parfois.Nos anciennes colonies maintenant étaient ici. Capita<strong>le</strong>, Marseil<strong>le</strong>. Ici commelà-bas, la vie n’existait pas. Que la mort. Et <strong>le</strong> sexe, avec vio<strong>le</strong>nce. Pour dire sa hainede n’être rien. Que des fantômes en puissance. Les soldats inconnus des annéesfutures. Un jour ou l’autre. En Afrique, en Asie, au Moyen-Orient. Ou même à deuxheures de chez nous. Là où l’Occident était menacé. Partout où des bites impures sedresseraient pour niquer nos femmes. Blanches et Palmolive. Et avilir la race.
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Laurent.- T’es con ou quoi ! C’
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que je trouve ?Il se dégagea vivem
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- Au revoir, monsieur Varounian, r
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Je l’attirai vers moi. Elle avait
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