Je vous rappel<strong>le</strong> encore avant de virer de là,Qu’on ne me traitera pasDe soumis à ce putain d’État.Et ça frappait fort, dans <strong>le</strong> compartiment. Tam tam de l’Afrique, du Bronx, et dela planète Mars. Le rap, ce n’était pas ma musique. Mais IAM, je devais <strong>le</strong>reconnaître, <strong>le</strong>urs textes cartonnaient juste. Beau et bien. En plus, ils avaient <strong>le</strong>groove, comme on dit. Il suffisait de regarder <strong>le</strong>s deux jeunes qui dansaient devantmoi.Les voyageurs avaient reflué à l’arrière de la rame. Ils baissaient la tête,comme s’ils ne voyaient, n’entendaient rien. Ils n’en pensaient pas moins. Mais à quoibon ouvrir sa gueu<strong>le</strong> ? Pour prendre un coup de couteau ? À la station, <strong>le</strong>s genshésitèrent à entrer dans la rame. Ils se serrèrent sur l’arrière. Avec des soupirs. Desgrincements de dents. Des rêves de bastonnades. Et des désirs de meurtres.Cerutti se glissa parmi eux. Il assurait la liaison radio avec <strong>le</strong> Q.G. Si ça tournaitmal. Pérol s’installa, là où ça faisait <strong>le</strong> vide. J’allai m’asseoir au milieu de la bande, etouvris un journal.- Pourriez pas faire un peu moins de bordel ?Il y eut un moment d’hésitation.- Qu’est-ce tu fais chier, mec ! lança l’un d’eux, en se laissant tomber sur <strong>le</strong>siège.- P’t’être qu’on t’gêne, dit un autre en s’asseyant à côté de moi.- Ouais, c’est ça. Comment t’as deviné ?Je regardai mon voisin dans <strong>le</strong>s yeux. Les autres arrêtèrent de taper sur <strong>le</strong>sparois. Sûr que ça devenait grave. Ils se serrèrent autour de moi.- Qu’est-ce tu nous biffes, mec ? T’aimes pas quoi ? Le rap ? Nos gueu<strong>le</strong>s ?- J’aime pas que vous me fassiez chier.- T’as vu combien on est ? On t’emmerde, mec.- Ouais, j’ai bien vu. À huit, vous avez de la gueu<strong>le</strong>. Seuls, vous n’avez pas decouil<strong>le</strong>s.- T’en as, toi ?- Si j’étais pas là, t’aurais pas à me <strong>le</strong> demander.Derrière, ça <strong>le</strong>vait la tête. Ben, il a raison. Quoi, on va pas se laisser faire la loi.Le courage des mots. Réformés-Canebière. La rame se remplit encore. Je sentaisdes gens derrière moi. Cerutti et Pérol avaient dû se rapprocher.Les jeunes étaient un peu désemparés. Je devinais qu’il n’y avait pas de chef.Ils déconnaient, comme ça. Rien que pour emmerder. Une provocation. Gratuite. Maisqui pouvait <strong>le</strong>ur coûter la peau. Une bal<strong>le</strong> était si vite perdue. Je rouvris <strong>le</strong> journal.Celui qui avait <strong>le</strong> radio K7 relança un peu la sauce. Un autre se remit à taper sur lavitre. Mais doucement. Juste pour voir. Les autres observaient, avec des clins d’œil,des sourires entendus, des petits coups de coude. De vrais minots. Celui qui mefaisait face mit presque ses baskets sur mon journal.- Tu descends où toi ?- Qu’est-ce ça te fout ?- Ben, je serais mieux si t’étais pas là.Dans mon dos, j’imaginais des centaines d’yeux braqués sur nous. J’avaisl’impression d’être un animateur avec sa classe d’ados. Cinq-Avenues-Longchamp-Les Chartreux. Saint-Just. Les stations se succédaient. Les mômes ne mouftaientplus. Ils ruminaient. Ils attendaient. La rame commençait à se vider. Malpassé. Le videderrière moi.- Si on te casse la gueu<strong>le</strong>, y a personne qui bouge, dit l’un d’eux en se <strong>le</strong>vant.
- Y sont même pas dix. Vu qu’y a une meuf et deux vieux.- Mais tu vas rien faire.- Ah oui ? Qu’est-ce y t’fait dir’ça ?- T’as rien que de la gueu<strong>le</strong>.Frais-Vallon. Des HLM, pas d’horizon.- Aïoli ! cria l’un d’eux.Ils descendirent en courant. Je bondis et chopai <strong>le</strong> dernier par <strong>le</strong> bras. Je <strong>le</strong> luitordis dans <strong>le</strong> dos. Avec fermeté, mais sans vio<strong>le</strong>nce. Il se débattit. Les passagerss’empressaient de quitter <strong>le</strong> quai.- T’es seul maintenant.- Putain, mais lâche-moi ! Il prit à témoin Cerutti et Pérol, qui s’éloignaient<strong>le</strong>ntement. Il est con, c’mec. Y m’cherche à m’casser la gueu<strong>le</strong>.Cerutti et Pérol ne <strong>le</strong> regardèrent pas. Le quai était désert. Je sentais la colèrechez <strong>le</strong> môme. Et la peur, aussi.- Personne va te défendre. T’es un Arabe. Je pourrais te faire la peau, là, sur <strong>le</strong>quai. Personne bougera. Tu comprends ça ? Alors, t’arrêtes de déconner, tes copainset toi. Sinon, un jour vous al<strong>le</strong>z tomber sur des mecs qui vous rateront pas. Tucomprends ça ?- Oui, ça va. Putain, ça fait mal !- Fais passer <strong>le</strong> message. Si je te retrouve, je te <strong>le</strong> pète, ton bras !Quand je refis surface, il faisait déjà nuit. Presque dix heures. J’étais <strong>le</strong>ssivé.Trop vidé pour rentrer chez moi. J’avais besoin de traîner. De voir du monde. Desentir palpiter quelque chose qui ressemb<strong>le</strong> à la vie.J’entrai chez O’Stop. Un restaurant de nuit, place de l’Opéra. Mélomanes etprostituées s’y côtoyaient amica<strong>le</strong>ment. Je savais qui j’avais envie de voir. Et el<strong>le</strong> étaitlà. Marie-Lou, une jeune pute antillaise. El<strong>le</strong> avait débarqué dans <strong>le</strong> quartier il y a troismois. El<strong>le</strong> était superbe. Genre Diana Ross, à vingt-deux piges. Ce soir, el<strong>le</strong> portait unjeans noir et un débardeur gris, assez échancré. Ses cheveux étaient tirés en arrièreet attachés avec un ruban noir. Rien n’était vulgaire en el<strong>le</strong>, même pas sa manièred’être assise. El<strong>le</strong> était presque hautaine. Rares étaient <strong>le</strong>s hommes qui osaientl’aborder sans qu’el<strong>le</strong> ne l’ait décidé, d’un regard.Marie-Lou ne racolait pas. El<strong>le</strong> bossait sur Minitel, et, comme el<strong>le</strong> étaitsé<strong>le</strong>ctive, el<strong>le</strong> filait ses rencards ici. Histoire de vérifier <strong>le</strong> look du client. Marie-Lou, el<strong>le</strong>m’excitait vraiment beaucoup. Je l’avais suivie quelques fois depuis. On aimait bien seretrouver. Pour el<strong>le</strong>, j’étais un client idéal. Pour moi, c’était plus simp<strong>le</strong> que d’aimer. Etça m’allait bien pour <strong>le</strong> moment.O’Stop était bourré, comme toujours. Beaucoup de prostituées, qui faisaientune pause whisky-coca-pipi. Certaines, <strong>le</strong>s plus âgées, connaissaient Verdi engénéral et Pavarotti en particulier. Je distribuai quelques clins d’œil, sourires, et jem’assis sur un tabouret, devant <strong>le</strong> comptoir. À côté de Marie-Lou. El<strong>le</strong> était pensive, <strong>le</strong>regard perdu dans son verre vide.- Ça marche <strong>le</strong>s affaires ?- Tiens, salut. Tu me paies un verre ?Margharita pour el<strong>le</strong>, whisky pour moi. Une nuit qui commençait bien.- J’avais un plan. Mais ça m’a pas inspirée.- Il ressemblait à quoi ?- À un flic !El<strong>le</strong> éclata de rire, puis me fit un bisou sur la joue. Une décharge é<strong>le</strong>ctrique,avec tilt dans mon slip.Quand j’aperçus Molines, nous en étions à la troisième tournée. Nous avions
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devienne amis, mais j’aimais bien
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orgueil. Quant à votre soi-disant
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l’Astra spécial en poche. Je lui
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point. Ce qui est rare. Habituellem
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plantai mes yeux dans ceux de Batis
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Françoise. Il était obligé de pa
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- Z’avez serré un dealer, paraî
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« Crève-le ! » l’avait encoura
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C’est ça qu’ils avaient dû lu
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sûr que les parents de Karine, sur
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Tanagra. L’un des truands abattu
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le téléphone personnel de Pérol.
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pourtant ça que j’avais envie de
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ÉpilogueRien ne change, et c’est
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Le monde se remettait en ordre. Nos