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ar. D’heure en heure. Le Passeport, Le Maybe blues, <strong>le</strong> Pê<strong>le</strong>-Mê<strong>le</strong>. Al<strong>le</strong>r voir ail<strong>le</strong>urs,toujours, comme en Espagne.Nous avions atterri au Pourquoi, rue Fortia. Une boîte antillaise. Nous étionspas mal éméchés en y arrivant. Raison de plus pour continuer. Tequila. Et salsa ! Noscorps trouvèrent très vite <strong>le</strong>ur accord. Collé-serré.C’est Zina qui m’apprit à danser la salsa. El<strong>le</strong> fut ma petite amie six mois, avantque je ne parte à l’armée. Puis je l’avais retrouvée à Paris, ma première affectationchez <strong>le</strong>s flics. Nous alternions <strong>le</strong>s nuits à la Chapel<strong>le</strong>, rue des Lombards et à l’Esca<strong>le</strong>,rue Monsieur-<strong>le</strong>-Prince. J’aimais la retrouver, Zina. El<strong>le</strong> se foutait que je sois flic. Nousétions devenus de vieux amis. El<strong>le</strong> me donnait régulièrement des nouvel<strong>le</strong>s « d’enbas », de Manu, de Lo<strong>le</strong>. Quelques fois d’Ugo, quand il <strong>le</strong>ur envoyait un signe de vie.Dans mes bras, Marie-Lou était de plus en plus légère. Sa transpiration libérait<strong>le</strong>s épices de son corps. Musc, cannel<strong>le</strong>, poivre. Basilic aussi, comme Lo<strong>le</strong>. J’aimais<strong>le</strong>s corps épicés. Plus je bandais et plus je sentais son ventre dur se frotter contremoi. Nous savions que nous finirions au lit, et nous voulions que cela soit <strong>le</strong> plus tardpossib<strong>le</strong>. Quand <strong>le</strong> désir serait insupportab<strong>le</strong>. Parce que après, la réalité nousrattraperait. Je redeviendrais un flic et el<strong>le</strong> une prostituée.Je m’étais réveillé vers <strong>le</strong>s six heures. Le dos cuivré de Marie-Lou me rappelaLo<strong>le</strong>. Je bus la moitié d’une bouteil<strong>le</strong> de Badoit, m’habillai et sortis. C’est dans la rueque ça me tomba dessus. La prise de tête. À nouveau, ce sentiment d’insatisfactionqui me harcelait depuis que Rosa était partie. Les femmes avec <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s j’ai vécu, je<strong>le</strong>s avais aimées. Toutes. Et avec passion. El<strong>le</strong>s aussi m’avaient aimé. Maiscertainement avec plus de vérité. El<strong>le</strong>s m’avaient donné du temps de <strong>le</strong>ur vie. Letemps est une chose essentiel<strong>le</strong> dans la vie d’une femme. Il est réel, pour el<strong>le</strong>s. Relatifpour <strong>le</strong>s hommes. El<strong>le</strong>s m’avaient donné, oui, beaucoup. Et moi, que <strong>le</strong>ur avais-jeoffert ? De la tendresse. Du plaisir. Du bonheur immédiat. Je n’étais pas mauvaisdans ces domaines. Mais après ?C’est dans l’après de l’amour que, chez moi, tout se déglinguait. Que je nedonnais plus. Que je ne savais plus recevoir. Après l’amour, je repassais de l’autrecôté de ma frontière. Dans ce territoire où j’ai mes règ<strong>le</strong>s, mes lois, mes codes. Desidées fixes à la con. Où je me perds. Où je perdais cel<strong>le</strong>s qui s’y aventuraient.Leila, j’aurais pu la conduire jusque-là. Dans ces déserts. Tristesse, colère, cris,larmes, mépris, c’est tout ce que l’on trouvait au bout du chemin. Et moi absent.Fuyard. Lâche. Avec cette peur de revenir à la frontière, et d’al<strong>le</strong>r voir comment c’est,de l’autre côté. Peut-être que, comme me l’avait dit un soir Rosa, je n’aimais pas lavie.D’avoir couché cette nuit avec Marie-Lou, d’avoir payé pour baiser, m’avaitappris au moins une chose. En amour, j’étais paumé. Les femmes aimées auraient puêtre <strong>le</strong>s femmes de ma vie. De la première jusqu’à la dernière. Mais je ne l’avais pasvoulu. Du coup, j’étais en rogne. Contre Marie-Lou. Contre moi. Contre <strong>le</strong>s femmes, etcontre <strong>le</strong> monde entier.Marie-Lou habitait un petit studio en haut de la rue d’Aubagne, juste au-dessusdu petit pont métallique qui enjambe <strong>le</strong> cours Lieutaud et conduit au cours Julien, l’undes nouveaux quartiers branchés de Marseil<strong>le</strong>. C’est là que, titubant, nous avions prisun dernier verre, au Dégust’Mars C’et Yé, une autre boîte raï, ragga, reggae. Marie-Lou m’expliqua que Bra, <strong>le</strong> patron, était un ancien camé. Il avait fait de la tau<strong>le</strong>. Cetteboîte, c’était son rêve. « On est chez nous », était-il écrit en grosses <strong>le</strong>ttres, au milieude centaines de graffitis. Le Dégust’ se voulait un lieu « où la vie cou<strong>le</strong> ». Ce quicoulait, c’était la tequila. Un dernier verre, pour la route. Juste avant l’amour. Les yeuxdans <strong>le</strong>s yeux, et nos corps é<strong>le</strong>ctriques.Descendre la rue d’Aubagne, à n’importe quel<strong>le</strong> heure du jour, était un voyage.

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