chassé <strong>le</strong> rêve. El<strong>le</strong> <strong>le</strong> regarda avec des yeux mélancoliques. Il était fatigué, et inquiet.Ses vieil<strong>le</strong>s peurs. Il aimait que Lo<strong>le</strong> soit avare de mots, d’explications. Le si<strong>le</strong>nceremettait <strong>le</strong>ur vie en ordre. Une fois pour toutes.Il flottait un parfum de menthe. Il détailla la pièce. Assez vaste, murs blancs,nus. Pas d’étagères, ni bibelots ni <strong>livre</strong>s. Un mobilier réduit à l’essentiel, tab<strong>le</strong>,chaises, buffet, mal assortis, et un lit à une place près de la fenêtre. Une porte ouvraitsur une autre pièce, la chambre. D’où il était, il apercevait une partie du lit. Drapsb<strong>le</strong>us, défaits. Il ne savait plus rien des odeurs de la nuit. Des corps. L’odeur de Lo<strong>le</strong>.Ses aissel<strong>le</strong>s, pendant l’amour, sentaient <strong>le</strong> basilic. Ses yeux se fermaient. Son regardrevint au lit près de la fenêtre.- Tu pourras dormir là.- Je voudrais dormir maintenant.Plus tard, il la vit traverser la pièce. Il ne savait pas combien de temps il avaitdormi. Pour lire l’heure à sa montre, il lui aurait fallu bouger. Et il n’avait pas envie debouger. Il préférait regarder Lo<strong>le</strong> al<strong>le</strong>r et venir. Les yeux mi-clos. El<strong>le</strong> était sortie de lasal<strong>le</strong> de bains enroulée dans une serviette éponge. El<strong>le</strong> n’était pas très grande. Maisel<strong>le</strong> avait ce qu’il fallait là où il fallait. Et el<strong>le</strong> avait de très bel<strong>le</strong>s jambes. Puis il s’étaitrendormi. Sans aucune peur.Le jour était tombé. Lo<strong>le</strong> portait une robe de toi<strong>le</strong> noire, sans manches. Sobre,mais très seyante. El<strong>le</strong> moulait délicatement son corps. Il regardait encore sesjambes. Cette fois, el<strong>le</strong> sentit son regard.- Je te laisse <strong>le</strong>s c<strong>le</strong>fs. Il y a du café au chaud. J’en ai refait.El<strong>le</strong> disait <strong>le</strong>s choses <strong>le</strong>s plus évidentes. Le reste ne trouvait pas place dans sabouche. Il se redressa, attrapa une cigarette sans la quitter des yeux.- Je rentre tard. Ne m’attends pas.- Tu es toujours entraîneuse ?- Hôtesse. Au Vamping. Je ne veux pas t’y voir traîner.Il se rappela <strong>le</strong> Vamping, au-dessus de la plage des Catalans. Un incroyab<strong>le</strong>décor à la Scorcese. La chanteuse et l’orchestre derrière des pupitres pail<strong>le</strong>tés.Tango, boléro, chacha, mambo, …- Ce n’était pas mon intention.El<strong>le</strong> haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.- Je n’ai jamais su tes intentions. Son sourire interdisait tout commentaire. Tupenses voir Fabio ?Il pensait qu’el<strong>le</strong> poserait la question. Il se l’était posée aussi. Mais il en avaitécarté l’idée. Fabio était flic. C’était comme un trait tiré sur <strong>le</strong>ur jeunesse, sur <strong>le</strong>uramitié. Fabio, pourtant, il aimerait <strong>le</strong> revoir.- Plus tard. Peut-être. Comment il est ?- Le même. Comme nous. Comme toi, comme Manu. Paumé. On n’a rien sufaire de nos vies. Alors, gendarme ou vo<strong>le</strong>ur…- Tu l’aimais bien, c’est vrai.- Je l’aime bien, oui.Il se sentit piqué au cœur.- Tu l’as revu ?- Pas depuis trois mois.El<strong>le</strong> attrapa son sac et une veste en lin blanc. Il ne la quittait toujours pas desyeux.- Sous ton oreil<strong>le</strong>r, lâcha-t-el<strong>le</strong> enfin. Il vit à son visage qu’el<strong>le</strong> s’amusait de sasurprise. Le reste est dans <strong>le</strong> tiroir du buffet.Et sans un mot de plus el<strong>le</strong> partit. Il sou<strong>le</strong>va l’oreil<strong>le</strong>r. Le 9 mm était là. Il l’avaitexpédié à Lo<strong>le</strong>, en colissimo, avant de quitter Paris. Les métros, <strong>le</strong>s gares grouillaient
de flics. La France républicaine avait décidé de laver plus blanc. Immigration zéro. Lenouveau rêve français. En cas de contrô<strong>le</strong>, il ne voulait pas de problème. Pas celui-là.Vu que déjà il avait de faux papiers.Le pisto<strong>le</strong>t. Un cadeau de Manu, pour ses vingt ans. À cette époque-là, Manu, ildéconnait déjà. Il ne s’en était jamais séparé, mais il n’en avait jamais fait usage nonplus. On ne tue pas quelqu’un comme ça. Même menacé. Ce qui avait été quelquesfois <strong>le</strong> cas, ici ou là. Il y avait toujours une autre solution. C’est ce qu’il pensait. Et ilétait toujours en vie. Mais aujourd’hui, il en avait besoin. Pour tuer.Il était un peu plus de huit heures. La pluie avait cessé et, en sortant del’immeub<strong>le</strong>, il reçut l’air chaud en p<strong>le</strong>ine gueu<strong>le</strong>. Après une longue douche, il avaitenfilé un pantalon noir, en toi<strong>le</strong>, un polo noir, et un blouson en jean. Il avait remis sesmocassins, mais sans chaussettes. Il prit la rue du Panier.C’était son quartier. Il y était né. Rue des Petits-Puits, à deux couloirs de là oùétait né Pierre Puget. Son père avait d’abord habité rue de la Charité, en arrivant enFrance. Ils fuyaient la misère et Mussolini. Il avait vingt ans, et traînait derrière lui deuxfrères. Des nabos, des Napolitains. Trois autres s’étaient embarqués pour l’Argentine.Ils firent <strong>le</strong>s boulots dont <strong>le</strong>s Français ne voulaient pas. Son père se fit embauchercomme docker, payé au centime. « Chien des quais », c’était l’insulte. Sa mèretravaillait aux dattes, quatorze heures par jour. Le soir, nabos et babis, ceux du Nord,se retrouvaient dans la rue. On tirait la chaise devant la porte. On se parlait par lafenêtre. Comme en Italie. La bel<strong>le</strong> vie, quoi.Sa maison, il ne l’avait pas reconnue. Rénovée, el<strong>le</strong> aussi. Il avait continué.Manu était de la rue Baussenque. Un immeub<strong>le</strong> sombre et humide, où sa mère,enceinte de lui, s’installa avec deux de ses frères. José Manuel, son père, avait étéfusillé par <strong>le</strong>s franquistes. Immigrés, exilés, tous débarquaient un jour dans l’une deces ruel<strong>le</strong>s. Les poches vides et <strong>le</strong> cœur p<strong>le</strong>in d’espoir. Quand Lo<strong>le</strong> arriva, avec safamil<strong>le</strong>, Manu et lui étaient déjà des grands. Seize ans. Enfin, c’était ce qu’ils faisaientcroire aux fil<strong>le</strong>s.Vivre au Panier, c’était la honte. Depuis <strong>le</strong> sièc<strong>le</strong> dernier. Le quartier desmarins, des putes. Le chancre de la vil<strong>le</strong>. Le grand lunapar. Et, pour <strong>le</strong>s nazis, quiavaient rêvé de <strong>le</strong> détruire, un foyer d’abâtardissement pour <strong>le</strong> monde occidental. Sonpère et sa mère y avaient connu l’humiliation. L’ordre d’expulsion, en p<strong>le</strong>ine nuit. Le24 janvier 1943. Vingt mil<strong>le</strong> personnes. Une charrette vite trouvée, pour entasserquelques affaires. Gendarmes français vio<strong>le</strong>nts et soldats al<strong>le</strong>mands goguenards.Pousser la charrette au petit jour sur la Canebière, sous <strong>le</strong> regard de ceux qui allaientau travail. Au lycée, on <strong>le</strong>s montrait du doigt. Même <strong>le</strong>s fils d’ouvriers, ceux de la Bel<strong>le</strong>de Mai. Mais pas longtemps. Ils <strong>le</strong>ur cassaient <strong>le</strong>s doigts ! Ils <strong>le</strong> savaient, Manu et lui,<strong>le</strong>ur corps, <strong>le</strong>urs fringues sentaient <strong>le</strong> moisi. L’odeur du quartier. La première fil<strong>le</strong> qu’ilavait embrassée, cette odeur, el<strong>le</strong> l’avait au fond de la gorge. Mais ils s’en foutaient.Ils aimaient la vie. Ils étaient beaux. Et ils savaient se battre.Il prit la rue du Refuge, pour redescendre. Six beurs, quatorze-dix-sept ans,discutaient <strong>le</strong> coup, plus bas. À côté d’une moby<strong>le</strong>tte. Rutilante. Neuve. Ils <strong>le</strong>regardèrent venir. Sur <strong>le</strong>ur garde. Une tête nouvel<strong>le</strong> dans <strong>le</strong> quartier, c’est danger.Flic. Indic. Ou <strong>le</strong> nouveau propriétaire d’une rénovation, qui irait se plaindre del’insécurité à la mairie. Des flics viendraient. Des contrô<strong>le</strong>s, des séjours au poste. Descoups, peut-être. Des emmerdes. Arrivé à <strong>le</strong>ur hauteur, il jeta un regard à celui qui luisembla être <strong>le</strong> chef. Un regard droit, franc. Bref. Puis il continua. Personne ne bougea.Ils s’étaient compris.Il traversa la place de Lenche, déserte, puis descendit vers <strong>le</strong> port. Il s’arrêta àla première cabine téléphonique. Batisti décrocha.
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coincés, ils avaient démissionné
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orgueil. Quant à votre soi-disant
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l’Astra spécial en poche. Je lui
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point. Ce qui est rare. Habituellem
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plantai mes yeux dans ceux de Batis
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Françoise. Il était obligé de pa
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« Crève-le ! » l’avait encoura
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C’est ça qu’ils avaient dû lu
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sûr que les parents de Karine, sur
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le téléphone personnel de Pérol.
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pourtant ça que j’avais envie de
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ÉpilogueRien ne change, et c’est
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Le monde se remettait en ordre. Nos