- Je suis l’ami de Manu.- Salut, gari. Passe prendre l’apéro, demain au Péano. Vers une heure. Ça mefera plaisir de te rencontrer. Ciao, fiston.Il raccrocha. Pas bavard Batisti. Pas <strong>le</strong> temps de lui dire qu’il aurait préférén’importe où ail<strong>le</strong>urs. Mais pas là. Pas au Péano. Le bar des peintres. Ambrogiani y aitaccroché ses premières toi<strong>le</strong>s. D’autres après lui, dans sa mouvance. De pâ<strong>le</strong>simitateurs aussi. C’était aussi <strong>le</strong> bar des journalistes. Toutes tendances confondues.Le Provençal, La Marseillaise, l’A.F.P., Libération. Le pastis jetait des passerel<strong>le</strong>sentre <strong>le</strong>s hommes. La nuit, on y attendait la dernière heure des journaux avant d’al<strong>le</strong>récouter du jazz dans l’arrière-sal<strong>le</strong>. Petrucciani père et fils y étaient venus. Avec AldoRomano. Et des nuits, il y en avait eu. Il essayait de comprendre ce qu’était sa vie.Cette nuit-là, Harry était au piano.- On comprend que ce qu’on veut, avait dit Lo<strong>le</strong>.- Ouais. Et moi, j’ai un besoin urgent d’aérer mon regard.Manu était revenu avec la énième tournée. Passé minuit, on ne comptait plus.Trois scotchs, doub<strong>le</strong>s doses. Il s’était assis et avait <strong>le</strong>vé son verre en souriant soussa moustache.- Santé, <strong>le</strong>s amoureux.- Toi, tu la fermes, avait dit Lo<strong>le</strong>.Il vous avait dévisagés comme des animaux étranges, puis vous avait oubliéspour la musique. Lo<strong>le</strong> te regardait. Tu avais vidé ton verre. Lentement. Avecapplication. Ta décision était prise. Tu allais partir. Tu t’étais <strong>le</strong>vé et tu étais sorti entitubant. Tu partais. Tu partis. Sans un mot pour Manu, <strong>le</strong> seul ami qu’il te restait.Sans un mot pour Lo<strong>le</strong>, qui venait d’avoir vingt ans. Que tu aimais. Que vous aimiez.Le Caire, Djibouti, Aden, <strong>le</strong> Harar. Itinéraire d’un ado<strong>le</strong>scent attardé. Puis l’innocenceperdue. De l’Argentine au Mexique. L’Asie, enfin, pour en finir avec <strong>le</strong>s illusions. Et unmandat d’arrêt international au cul, pour trafic d’œuvres d’art.Tu revenais à Marseil<strong>le</strong> pour Manu. Pour rég<strong>le</strong>r son compte à l’enfant de salaudqui l’avait tué. Il sortait de Chez Félix, un bistrot rue Caisserie où il mangeait <strong>le</strong> midi.Lo<strong>le</strong> l’attendait à Madrid, chez sa mère. Il allait palper un beau paquet de fric. Pour uncasse sans bavure, chez un grand avocat marseillais, Éric Brunel, bou<strong>le</strong>vardLongchamp. Ils avaient décidé d’al<strong>le</strong>r à Sévil<strong>le</strong>. Et d’oublier Marseil<strong>le</strong>, et <strong>le</strong>s galères.Tu n’en voulais pas à celui qui avait fait cette saloperie. Un tueur à gages, sansdoute. Anonyme. Froid. Venu de Lyon, ou de Milan. Et que tu ne retrouverais pas. Tuen voulais à l’ordure qui avait commandité ça. Tuer Manu. Tu ne voulais pas savoirpourquoi. Tu n’avais pas besoin de raisons. Pas même une seu<strong>le</strong>. Manu, c’est commesi c’était toi.Le so<strong>le</strong>il <strong>le</strong> réveilla. Neuf heures. Il resta couché sur <strong>le</strong> dos, et fuma sa premièrecigarette. Il n’avait pas dormi aussi profondément depuis des mois. Il rêvait toujoursqu’il dormait ail<strong>le</strong>urs que là où il était. Dans un bordel du Harar. Dans la prison deTijuana. Dans l’express Rome-Paris. Partout. Mais toujours ail<strong>le</strong>urs. Cette nuit, il avaitrêvé qu’il dormait chez Lo<strong>le</strong>. Et il était chez el<strong>le</strong>. Comme chez lui. Il sourit. À peine s’ill’avait entendue rentrer, fermer la porte de sa chambre. El<strong>le</strong> dormait dans ses drapsb<strong>le</strong>us, à reconstituer son rêve cassé. Il en manquait toujours un morceau. Manu. Àmoins que ce ne fût lui. Mais il y avait longtemps qu’il avait repoussé cette idée. Etc’était s’accorder un beau rô<strong>le</strong>. Vingt ans, c’était plus qu’un deuil.Il se <strong>le</strong>va, fit du café et passa sous la douche. Sous l’eau chaude. Il se sentaitbeaucoup mieux. Les yeux fermés sous <strong>le</strong> jet, il se mit à imaginer que Lo<strong>le</strong> venait <strong>le</strong>rejoindre. Comme avant. El<strong>le</strong> se serrait contre son corps. Son sexe contre <strong>le</strong> sien. Sesmains glissaient dans son dos, sur ses fesses. Il se mit à bander. Il ouvrit l’eau froide
en hurlant.Lo<strong>le</strong> mit un des premiers disques d’Azuquita. Pura salsa. Ses goûts n’avaientpas changé. Il esquissa quelques pas de danse, ce qui la fit sourire. El<strong>le</strong> s’avançapour l’embrasser. Dans <strong>le</strong> mouvement, il aperçut ses seins. Comme des poires, quiattendaient d’être cueillies. Il ne détourna pas son regard assez vite.Leurs yeux se rencontrèrent. El<strong>le</strong> s’immobilisa, serra plus fort la ceinture de sonpeignoir de bain et partit vers la cuisine. Il se sentit minab<strong>le</strong>. Une éternité passa. El<strong>le</strong>revint avec deux tasses de café.- Hier soir, un type m’a demandé de tes nouvel<strong>le</strong>s. Savoir si tu étais par là. Uncopain à toi. Malabe. Franckie Malabe.Il ne connaissait pas de Malabe. Un flic ? Plus certainement un indic. Ça ne luiplaisait pas, qu’ils s’approchent de Lo<strong>le</strong>. Mais, en même temps, cela <strong>le</strong> rassurait. Lesflics des Douanes savaient qu’il était revenu en France, mais pas où il était. Pasencore. Ils essayaient <strong>le</strong>s pistes. Il lui fallait encore un peu de temps. Deux jours,peut-être. Tout dépendait de ce que Batisti avait à vendre.- Pourquoi es-tu là ?Il prit <strong>le</strong> blouson. Surtout ne pas répondre. Ne pas s’engager dans <strong>le</strong>squestions-réponses. Il serait incapab<strong>le</strong> de lui mentir. Incapab<strong>le</strong> d’expliquer pourquoi ilallait faire cela. Pas maintenant. Il devait <strong>le</strong> faire. Comme un jour il avait dû partir. Àses questions, il n’avait jamais trouvé de réponses. Il n’y avait que des questions. Pasde réponses. Il avait compris ça, c’est tout. C’était peu de chose, mais c’était plus sûrque de croire en Dieu.- Oublie la question.Derrière lui, el<strong>le</strong> ouvrit la porte et cria :- Ça m’a menée nul<strong>le</strong> part, de pas en poser, des questions.Le parking à deux étages du cours d’Estienne d’Orves avait enfin été détruit.L’ancien canal des galères était devenu une bel<strong>le</strong> place. Les maisons avaient étérestaurées, <strong>le</strong>s façades repeintes, <strong>le</strong> sol pavé. Une place à l’italienne. Les bars et <strong>le</strong>srestaurants avaient tous des terrasses. Tab<strong>le</strong>s blanches et parasols. Comme en Italie,on se donnait à voir. L’élégance en moins. Le Péano avait aussi sa terrasse, déjà bienremplie. Des jeunes pour la plupart. Propres sur eux. L’intérieur avait été refait. Décobranchée. Froide. Des reproductions avaient remplacé <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>aux. À chier. C’étaitpresque mieux ainsi. Il pouvait tenir <strong>le</strong>s souvenirs à distance.Il se mit au comptoir. Il commanda un pastis. Dans la sal<strong>le</strong> un coup<strong>le</strong>. Uneprostituée et son mac. Mais on pouvait se tromper. Ils discutaient à voix basse. Leurdiscussion était plutôt animée. Il appuya un coude sur <strong>le</strong> zinc tout neuf et surveillal’entrée.Les minutes passaient. Personne n’entrait. Il commanda un autre pastis. Onentendit : « Fils de pute ». Un bruit sec. Les regards se tournèrent vers <strong>le</strong> coup<strong>le</strong>. Unsi<strong>le</strong>nce. La femme partit en courant. L’homme se <strong>le</strong>va, laissa un bil<strong>le</strong>t de cinquantefrancs et sortit après el<strong>le</strong>.Sur la terrasse, un homme plia <strong>le</strong> journal qu’il lisait. La soixantaine. Unecasquette de marin sur la tête. Pantalon de toi<strong>le</strong> b<strong>le</strong>ue, chemise blanche à manchescourtes, par-dessus <strong>le</strong> pantalon. Espadril<strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ues. Il se <strong>le</strong>va et vint vers lui. Batisti.Il passa l’après-midi à repérer <strong>le</strong>s lieux. Monsieur Char<strong>le</strong>s, comme on l’appelaitdans <strong>le</strong> Milieu, habitait une des villas cossues qui surplombent la Corniche.Des villas étonnantes, avec clochetons ou colonnes, et des jardins avecpalmiers, lauriers roses et figuiers. Quitté <strong>le</strong> Roucas Blanc, la rue qui serpente àtravers cette petite colline, c’est un entrelacs de chemins, parfois à peine goudronnés.
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grand sourire. Un sourire carnassie
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devienne amis, mais j’aimais bien
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orgueil. Quant à votre soi-disant
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l’Astra spécial en poche. Je lui
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point. Ce qui est rare. Habituellem
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plantai mes yeux dans ceux de Batis
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Françoise. Il était obligé de pa
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« Crève-le ! » l’avait encoura
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C’est ça qu’ils avaient dû lu
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sûr que les parents de Karine, sur
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Tanagra. L’un des truands abattu
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le téléphone personnel de Pérol.
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pourtant ça que j’avais envie de
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Le monde se remettait en ordre. Nos