- C’est mieux, m’entendis-je répéter, en pensant qu’il était trop tard pour luisauter dessus. Et cela me fit sourire.- Tu sais, fit-el<strong>le</strong> en se <strong>le</strong>vant, sur la photo, j’en connais un, des mecs. El<strong>le</strong>ramassa la photo par terre et mit son doigt sur un homme, assis à côté de Toni. C’estmon mac. Raoul Farge.- Nom de Dieu !Le meil<strong>le</strong>ur des canapés est toujours inconfortab<strong>le</strong>. On n’y dort que parcontrainte. Parce que quelqu’un d’autre occupe votre lit. Je n’avais pas dormi sur <strong>le</strong>mien depuis la dernière nuit que Rosa avait passée ici.Nous avions parlé et bu jusqu’à l’aube, avec l’espoir de nous sauver unenouvel<strong>le</strong> fois. Ce n’était pas notre amour qui était en cause. C’était el<strong>le</strong> et c’était moi.Moi plus qu’el<strong>le</strong>. Je refusais de satisfaire son vrai désir : avoir un enfant. Je n’avaisaucun argument logique à lui donner. J’étais seu<strong>le</strong>ment prisonnier de ma vie.Clara, la seu<strong>le</strong> femme que j’avais engrossée, involontairement il est vrai, avaitavorté, sans me <strong>le</strong> dire. Je n’étais pas un type fiab<strong>le</strong>, m’avait-el<strong>le</strong> balancé. Après. Pourexpliquer sa décision. Je portais trop d’attention aux femmes. Je <strong>le</strong>s aimais trop.J’étais infidè<strong>le</strong> rien que dans un regard. On ne pouvait me faire confiance. J’étais unamant. Je ne serais jamais un mari. Encore moins un père. Cela avait mis fin à notrehistoire, évidemment. Dans ma tête, j’avais tué <strong>le</strong> père qui ne faisait pourtant que lasieste.Rosa, je l’aimais. Un visage d’ange qu’encadrait un flot de cheveux bouclés,d’un châtain presque roux. El<strong>le</strong> avait un sourire désarmant, magnifique, mais presquetoujours un peu triste. C’est ce qui m’avait d’abord séduit, son sourire. Aujourd’hui, jepouvais penser à el<strong>le</strong> sans avoir mal. El<strong>le</strong> m’était devenue non pas indifférente, maisirréel<strong>le</strong>. Cela m’avait pris du temps pour me déshabituer d’el<strong>le</strong>. De son corps. Quandnous étions ensemb<strong>le</strong>, il me suffisait de fermer <strong>le</strong>s yeux pour la désirer. Des imagesd’el<strong>le</strong> n’avaient cessé de me hanter. Souvent, je me demandais si ce désir renaîtrait,si el<strong>le</strong> réapparaissait, comme ça, sans avertir. Je n’en savais toujours rien.Oui, je savais. Depuis que j’avais couché avec Lo<strong>le</strong>. On ne pouvait se remettred’avoir aimé Lo<strong>le</strong>. Ce n’était pas une question de beauté. Rosa avait un corpssuperbe, tout en formes, subti<strong>le</strong>ment dessiné. Tout en el<strong>le</strong> était sensuel. Le moindregeste. Lo<strong>le</strong>, el<strong>le</strong>, était plus mince, plus longiligne. Aérienne, jusque dans sa démarche.El<strong>le</strong> faisait songer à la Gradiva des fresques de Pompéi. El<strong>le</strong> marchait en frôlant <strong>le</strong>sol, sans <strong>le</strong> toucher. L’aimer, c’était se laisser emporter par ses voyages. El<strong>le</strong>transportait. Et, quand on jouissait, on n’avait pas l’impression d’avoir perdu quelquechose, mais d’avoir trouvé.C’est ce que j’avais ressenti, même si, dans <strong>le</strong>s instants qui avaient suivi,j’avais tout gâché. Un soir, aux Goudes, Manu lâcha : « Putain, pourquoi quand onjouit, qu’ça dure pas ! » Nous n’avions su quoi répondre. Avec Lo<strong>le</strong>, il y avait un aprèsau plaisir.Depuis, je vivais dans cet après. Je n’avais qu’un désir, la retrouver, la revoir.Même si depuis trois mois je refusais de l’admettre. Même si j’étais sans illusion. Surmon corps brûlaient encore ses doigts. Sur ma joue la honte était toujours vivace.Après Lo<strong>le</strong>, je n’avais pu trouver que Marie-Lou. Je jouissais avec el<strong>le</strong> comme on seperd. Par désespoir. On finit chez <strong>le</strong>s putes par désespoir. Mais Marie-Lou méritaitmieux.Je changeai de position. Avec <strong>le</strong> sentiment que je n’arriverais pas à dormir. Ledésir, intact, de retrouver Lo<strong>le</strong>. L’envie, refoulée, de coucher avec Marie-Lou. Quevenait donc faire son mac dans cette histoire ? La mort de Leila était comme unepierre jetée dans l’eau. Des ronds se dessinaient tout autour, où gravitaient des flics,
des truands, des fascistes. Et maintenant Raoul Farge, qui entreposait dans la cavede Mourrabed assez de matériel pour prendre d’assaut la Banque de France.Merde ! À quoi étaient destinées toutes ces armes ? Une idée intéressante metraversa l’esprit, mais la dernière gorgée de Lagavulin eut raison de mes réf<strong>le</strong>xions. Jen’eus pas <strong>le</strong> temps de regarder l’heure. Quand <strong>le</strong> réveil sonna, il me sembla ne pasavoir fermé l’œil.Marie-Lou avait dû se battre toute la nuit contre des monstres. Les oreil<strong>le</strong>rsétaient en bou<strong>le</strong> et <strong>le</strong>s draps plissés d’avoir été trop étreints. El<strong>le</strong> dormait au-dessusdu drap, sur <strong>le</strong> ventre, la tête tournée. Je ne voyais pas son visage. Je ne voyais queson corps. J’étais un peu idiot avec <strong>le</strong>s tasses de café et <strong>le</strong>s croissants.J’avais nagé une bonne demi-heure. Le temps de cracher toutes <strong>le</strong>s cigarettesdu monde et de sentir <strong>le</strong>s musc<strong>le</strong>s de mon corps se tendre à péter. Droit devant moi,au-delà de la digue. Sans plaisir. Avec vio<strong>le</strong>nce. J’avais arrêté quand mon estomac secontracta. L’élancement me rappela <strong>le</strong>s coups que j’avais reçus. Le souvenir de ladou<strong>le</strong>ur se mua en peur. Une peur panique. Une seconde, je crus que j’allais menoyer.Ce n’est que sous la douche, au contact de l’eau tiède que je retrouvail’apaisement. J’avais avalé un jus d’orange, puis j’étais sorti acheter des croissants.J’avais fait une halte chez Fonfon, pour lire <strong>le</strong> journal en buvant un café. Malgré lapression de certains clients, on ne pouvait toujours y trouver que Le Provençal et LaMarseillaise. Pas Le Méridional. Fonfon méritait mon assiduité.Il y avait eu une raf<strong>le</strong> d’envergure, la nuit dernière. Menée par plusieursbrigades, dont cel<strong>le</strong> d’Auch. Une raf<strong>le</strong> méthodique selon la règ<strong>le</strong> des trois B. Bars,bordels, boîtes de nuit. Tous <strong>le</strong>s lieux chauds y étaient passés : place d’Aix, coursBelzunce, place de l’Opéra, cours Julien, la Plaine et même place Thiars. Plus d’unesoixantaine d’interpellations, exclusivement des Arabes en situation irrégulière.Quelques prostituées. Quelques voyous. Mais pas de truands notab<strong>le</strong>s. Même pas unpetit truand de rien du tout. Les commissaires concernés s’étaient refusés à toutcommentaire, mais <strong>le</strong> journaliste laissait entendre que ce type d’opération pourrait sereproduire. Il fallait assainir la vie nocturne marseillaise.Pour qui savait lire entre <strong>le</strong>s lignes, la situation était claire. Il n’y avait plus dechef connu dans la voyoucratie marseillaise. Zucca était mort et Al Dakhil l’avait rejointau pays des salauds. La police occupait la place et la brigade d’Auch prenait sesmarques. Il voulait savoir qui était maintenant son interlocuteur. Ma main à couper, medis-je, que Joseph Poli sera l’homme de la situation. Cela me fit frissonner. Sonascension reposait sur un groupe d’extrémistes. Un homme politique avait dû parierson avenir là-dessus. Ugo, j’en étais maintenant sûr, avait été l’instrument de la maindu diab<strong>le</strong>.- Je ne dors pas, dit Marie-Lou au moment où je repartais avec café etcroissants.El<strong>le</strong> tira <strong>le</strong> drap sur el<strong>le</strong>. Son visage était fatigué et je supposai qu’el<strong>le</strong> avaitaussi mal dormi que moi. Je m’assis sur <strong>le</strong> bord du lit, posai <strong>le</strong> plateau à côté d’el<strong>le</strong> etl’embrassai sur <strong>le</strong> front.- Ça va ?- C’est gentil, dit-el<strong>le</strong> en regardant <strong>le</strong> plateau. C’est la première fois qu’onm’apporte <strong>le</strong> déjeuner au lit.Je ne répondis pas. On prit notre café en si<strong>le</strong>nce. Je la regardai manger. El<strong>le</strong>gardait la tête baissée. Je lui tendis une cigarette. Nos yeux se croisèrent. Les siensétaient tristes. Je mis dans mon regard toute la douceur possib<strong>le</strong>.
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Je vous rappelle encore avant de vi
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