« Crève-<strong>le</strong> ! » l’avait encouragé Jasmine et Kader. Driss serra de toutes sesforces, mais Toni continuait de se débattre. Karine hurlait : « C’est mon frère ! ». El<strong>le</strong>p<strong>le</strong>urait. El<strong>le</strong> implorait. Et el<strong>le</strong> tirait Driss par <strong>le</strong> bras, pour lui faire lâcher prise. MaisDriss n’était plus là. Il libérait sa rage. Leila n’était pas seu<strong>le</strong>ment sa sœur. C’était samère. El<strong>le</strong> l’avait é<strong>le</strong>vé, dorloté, aimé. On ne pouvait pas lui faire ça. Lui en<strong>le</strong>ver deuxmères dans sa vie.Dans ses bras, <strong>le</strong>s heures d’entraînement avec Mavros se libérèrent.Toni, il était <strong>le</strong> plus fort devant <strong>le</strong>s minab<strong>le</strong>s. Sanchez et <strong>le</strong>s autres. Le plus fortune arme à la main. Là, il était perdu. Il <strong>le</strong> sut dès que <strong>le</strong>s mains de Driss <strong>le</strong> prirent aucou. Et serrèrent. Les yeux de Toni criaient grâce. Ses copains ne lui avaient pasappris ça. La mort qui s’insinue petit à petit dans <strong>le</strong> corps. L’absence d’oxygène. Lapanique. La peur. J’avais entrevu tout ça, l’autre nuit. La force de Driss, aussipuissante que cel<strong>le</strong> de monsieur Musc<strong>le</strong>s. Non, je n’aurais pas aimé mourir ainsi.Karine enserrait <strong>le</strong> torse de Driss de ses bras faib<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> ne criait plus. El<strong>le</strong>p<strong>le</strong>urait en disant : « Non, non, non. » Mais il était trop tard. Trop tard pour Leilaqu’el<strong>le</strong> aimait. Trop tard pour Toni qu’el<strong>le</strong> aimait. Trop tard pour Driss, qu’el<strong>le</strong> aimaitaussi. Plus fort que Leila. Bien plus fort que Toni. Driss n’entendait plus rien. Mêmepas Jasmine qui cria : « Arrête ! » Il serrait toujours, <strong>le</strong>s yeux fermés.Est-ce qu’el<strong>le</strong> souriait à Driss, Leila ? Est-ce qu’el<strong>le</strong> riait ? Comme ce jour-là.Nous étions partis pour al<strong>le</strong>r nous baigner à Sugitton. On avait laissé la voiture sur unterre-p<strong>le</strong>in du col de la Gineste, et nous avions pris un sentier, dans <strong>le</strong> massif dePuget, pour atteindre <strong>le</strong> col de la Gardio<strong>le</strong>. Leila voulait voir la mer du haut desfalaises de Devenson. El<strong>le</strong> n’y était jamais venue. C’était un des lieux <strong>le</strong>s plussublimes du monde.Leila marchait devant moi. El<strong>le</strong> portait un short en jeans effrangé et undébardeur blanc. El<strong>le</strong> avait ramassé ses cheveux dans une casquette de toi<strong>le</strong>blanche. Des per<strong>le</strong>s de sueur coulaient dans son cou. Par moment, el<strong>le</strong>s étincelaientcomme des diamants. Mon regard avait suivi <strong>le</strong> cheminement de la sueur sous sondébardeur. Le creux des reins. Jusqu’à sa tail<strong>le</strong>. Jusqu’au balancement de ses fesses.El<strong>le</strong> avançait avec l’ardeur de sa jeunesse. Je voyais ses musc<strong>le</strong>s se tendre, dela chevil<strong>le</strong> jusqu’aux cuisses. El<strong>le</strong> avait autant de grâce à grimper dans la colline qu’àmarcher dans la rue sur des talons. Le désir me gagnait. Il était tôt, mais la cha<strong>le</strong>urlibérait déjà <strong>le</strong>s fortes odeurs de résine des pins. J’imaginai cette odeur de résineentre <strong>le</strong>s cuisses de Leila. Le goût que cela pouvait avoir sur ma langue. À cet instant,je sus que j’allais poser mes mains sur ses fesses. El<strong>le</strong> n’aurait pas fait un pas deplus. Je l’aurais serrée contre moi. Ses seins dans mes mains. Puis j’aurais caresséson ventre, déboutonné son short.Je m’étais arrêté de marcher. Leila s’était retournée, un sourire aux lèvres.- Je vais passer devant, j’avais dit.Au passage, el<strong>le</strong> m’avait donné une tape sur <strong>le</strong>s fesses, en riant.- Qu’est-ce qui te fait rire ?- Toi.Le bonheur. Un jour. Il y a dix mil<strong>le</strong> ans.Plus tard sur la plage, el<strong>le</strong> m’avait posé des questions sur ma vie, sur <strong>le</strong>sfemmes de ma vie. Je n’ai jamais su par<strong>le</strong>r des femmes que j’ai aimées. Je voulaispréserver ces amours qui étaient en moi. Les raconter, c’était ramener <strong>le</strong>sengueulades, <strong>le</strong>s larmes, <strong>le</strong>s portes qui claquent. Et <strong>le</strong>s nuits qui suivent dans <strong>le</strong>sdraps froissés comme <strong>le</strong> cœur. Et je ne voulais pas. Je voulais que mes amourscontinuent de vivre. Avec la beauté du premier regard. La passion de la première nuit.La tendresse du premier réveil. J’avais répondu n’importe quoi, et <strong>le</strong> plus vaguementpossib<strong>le</strong>.
Leila m’avait regardé bizarrement. Puis el<strong>le</strong> m’avait parlé de ses amoureux. El<strong>le</strong><strong>le</strong>s comptait sur <strong>le</strong>s doigts d’une seu<strong>le</strong> main. La description qu’el<strong>le</strong> me fit de l’hommedont el<strong>le</strong> rêvait, de ce qu’el<strong>le</strong> attendait de lui prit des allures de portrait. Celam’effraya. Je n’aimais pas ce portrait. Je n’étais pas celui-là. Ni personne. Je lui disqu’el<strong>le</strong> n’était qu’une midinette. Cela l’amusa, puis cela la fâcha. On se disputa, pourla première fois. Une dispute tendue par <strong>le</strong> désir.Sur <strong>le</strong> chemin du retour, nous n’avions plus évoqué <strong>le</strong> sujet. Nous revenions,si<strong>le</strong>ncieux. L’un et l’autre nous avions remisé, quelque part en nous, ce désir del’autre. Il faudra y répondre un jour, m’étais-je dit, mais ce n’était pas <strong>le</strong> jour. Le plaisird’être ensemb<strong>le</strong>, de se découvrir, importait davantage. Nous <strong>le</strong> savions. Et <strong>le</strong> restepouvait attendre. Sa main, un peu avant de rejoindre la voiture, s’était glissée dans lamienne. Leila était une fil<strong>le</strong> épatante. Avant de se quitter, ce dimanche-là, el<strong>le</strong>m’embrassa sur la joue. « T’es un type bien, Fabio. »Leila me souriait.Je la revoyais enfin. De l’autre côté de la mort. Ceux qui l’avaient violée, puistuée, étaient crevés. Les fourmis pouvaient s’activer sur la charogne. Leila n’était plusattaquab<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> avait rejoint mon cœur, et je la porterais avec moi, sur cette terre quichaque matin donne sa chance aux hommes.Oui, el<strong>le</strong> devait sourire à Driss, à cet instant-là. Toni, je savais que je l’auraistué. Pour effacer l’horreur. De mes mains, comme Driss. Aussi aveuglément. Jusqu’àce que cette saloperie qu’il avait faite lui remonte à la gorge et l’asphyxie.Toni pissa sur lui. Driss ouvrit <strong>le</strong>s yeux, mais sans cesser de lui étreindre <strong>le</strong>cou. Toni entrevit l’enfer. Le trou noir. Il se débattit une dernière fois. Un sursaut. Ledernier souff<strong>le</strong>. Puis il ne bougea plus.Karine cessa de p<strong>le</strong>urer. Driss se redressa. Les bras ballants, au-dessus ducorps de Toni. Ils n’osèrent plus bouger, ni par<strong>le</strong>r. Ils n’avaient plus de haine. Ilsétaient vidés. Ils ne réalisaient même pas ce que Driss venait de faire. Ce qu’ilsavaient laissé faire. Ils ne pouvaient admettre qu’ils venaient de tuer un homme.- Il est mort ? avait fina<strong>le</strong>ment demandé Driss.Personne ne lui répondit. Driss eut un haut-<strong>le</strong>-cœur et courut dans <strong>le</strong>s toi<strong>le</strong>ttes.Il y avait une heure de ça, et, depuis, ils se bourraient la gueu<strong>le</strong> et fumaient despétards. De temps en temps, ils jetaient un regard au corps. Kader se <strong>le</strong>va, il ouvrit laporte-fenêtre du balcon et, du pied, fit rou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> corps de Toni. Ne plus <strong>le</strong> voir. Et ilreferma.Chaque fois qu’ils se décidaient à m’appe<strong>le</strong>r, l’un d’eux avançait une autresolution. Pour chacune, il fallait toucher au corps. Et ça, ils n’osaient pas. Ils n’osaientmême plus al<strong>le</strong>r sur <strong>le</strong> balcon. La bouteil<strong>le</strong> de whisky au trois quarts vide, et pas malde pétards après, ils envisageaient de foutre <strong>le</strong> feu à la baraque et de se tirer. Le fourire <strong>le</strong>s gagna. Libérateur.J’avais cogné à la porte à cet instant-là.Le téléphone sonna. Comme dans <strong>le</strong>s mauvais feuil<strong>le</strong>tons. Personne nebougea. Ils me regardaient, attendant que je prenne une décision. Dans la chambre,Driss s’était arrêté de par<strong>le</strong>r.- On répond pas ? demanda Kader.Je décrochai, d’un geste vif. Énervé.- Toni ?Une voix de femme. Une voix sensuel<strong>le</strong>, rocail<strong>le</strong>use et chaude. Excitante.- Qui <strong>le</strong> demande ?Si<strong>le</strong>nce. J’entendais des bruits d’assiettes et de fourchettes. En fond, unemusique douceâtre. Un restaurant. Les Restanques ? Et c’était peut-être Simone.
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