que je trouve ?Il se dégagea vivement. Énervé. Je savais qu’il n’avait rien. Je voulais juste enêtre sûr.- J’ai rien. J’touch’pas à ces trucs.- Je sais. T’es un pauvre petit rebeu qu’un connard de flic fait chier. C’est ça ?- Pas dit ça.- T’en penses pas moins. Surveil<strong>le</strong> bien ma tire, Rachid.Le B7 ressemblait à tous <strong>le</strong>s autres. Le hall était cradingue. L’ampou<strong>le</strong> avait étéfracassée à coups de pierres. Ça puait la pisse. Et l’ascenseur ne marchait pas. Cinqétages. Les monter à pied, c’est sûr qu’on ne montait pas au Paradis. Mouloud avaitappelé hier soir, sur <strong>le</strong> répondeur. Surpris d’abord par la voix enregistrée, il y avait eudes « Allô ! Allô ! », un si<strong>le</strong>nce, puis <strong>le</strong> message. « Siou plaît, faut qu’tu viennes,m’sieur Monta<strong>le</strong>. C’est pour Leila. »Leila, c’était l’aînée des trois enfants. Il en avait trois. Kader et Driss. Il en auraiteu peut-être plus. Mais Fatima, sa femme, était morte en accouchant de Driss.Mouloud, c’était à lui tout seul <strong>le</strong> rêve de l’immigration. Il fut l’un des premiers à êtreembauchés sur <strong>le</strong> chantier de Fos-sur-Mer, fin 1970.Fos, c’était l’Eldorado. Du travail, il y en avait pour des sièc<strong>le</strong>s. On bâtissait unport qui accueil<strong>le</strong>rait des méthaniers énormes, des usines où l’on cou<strong>le</strong>rait l’acier del’Europe. Il était fier de participer à cette aventure, Mouloud. Il aimait ça, bâtir,construire. Sa vie, sa famil<strong>le</strong>, il <strong>le</strong>s avait forgées à cette image. Il n’obligea jamais sesenfants à se couper des autres, à ne pas fréquenter <strong>le</strong>s Français. Seu<strong>le</strong>ment à éviter<strong>le</strong>s mauvaises relations. Garder <strong>le</strong> respect d’eux-mêmes. Acquérir des manièresconvenab<strong>le</strong>s. Et réussir <strong>le</strong> plus haut possib<strong>le</strong>. S’intégrer dans la société sans serenier. Ni sa race, ni son passé.« Quand on était petits, me confia un jour Leila, il nous faisait réciter après lui :Alla Akbar, La ilah illa Allah, Mohamed rasas Allah, Ayya illa Salat, Ayya illa el Fallah.On n’y comprenait rien. Mais c’était bon à entendre. Ça ressemblait à ce qu’il racontaitde l’Algérie. « À cette époque-là, Mouloud était heureux. Il avait installé sa famil<strong>le</strong> àPort-de-Bouc, entre <strong>le</strong>s Martigues et Fos. À la mairie on avait été « gentil avec lui » etil avait vite obtenu une bel<strong>le</strong> HLM, avenue Maurice Thorez. Le boulot était dur, et plusil y avait d’Arabes et mieux on se portait. C’était ce que pensaient <strong>le</strong>s anciens deschantiers navals, qui s’étaient fait réembaucher à Fos. Des Italiens, en majorité desSardes, des Grecs, des Portugais, quelques Espagnols.Mouloud adhéra à la C.G.T. C’était un travail<strong>le</strong>ur, et il avait besoin de se trouverune famil<strong>le</strong>, pour <strong>le</strong> comprendre, l’aider, <strong>le</strong> défendre. « Cel<strong>le</strong>-là, c’est la plus grande »,lui avait dit Guttierez, <strong>le</strong> délégué syndical. Et il avait ajouté : « Après <strong>le</strong> chantier, il yaura des stages pour entrer dans la sidérurgie. Avec nous, tu as déjà ta place dansl’usine. »Mouloud, ça, ça lui plaisait. Il <strong>le</strong> croyait, dur comme fer. Guttierez <strong>le</strong> croyaitaussi. La C.G.T. <strong>le</strong> croyait. Marseil<strong>le</strong> <strong>le</strong> croyait. Toutes <strong>le</strong>s vil<strong>le</strong>s autour <strong>le</strong> croyaient, etconstruisaient des HLM à tour de bras, des éco<strong>le</strong>s, des routes pour accueillir tous <strong>le</strong>stravail<strong>le</strong>urs promis à cet Eldorado. La France el<strong>le</strong>-même <strong>le</strong> croyait. Au premier lingotd’acier coulé, Fos n’était déjà plus qu’un mirage. Le dernier grand rêve des annéessoixante-dix. La plus cruel<strong>le</strong> des désillusions. Des milliers d’hommes restèrent sur <strong>le</strong>carreau. Et Mouloud parmi eux. Mais il ne se découragea pas.Avec la C.G.T., il fit grève, il occupa <strong>le</strong> chantier, et se battit contre <strong>le</strong>s C.R.S.qui vinrent <strong>le</strong>s déloger. Ils avaient perdu, bien sûr. On ne gagne jamais contrel’arbitraire économique des costards-cravate. Driss venait de naître. Fatima étaitmorte. Et Mouloud, fiché comme agitateur, ne trouva plus de vrai travail. Que des
petits boulots. Maintenant, il était manutentionnaire chez Carrefour. Au Smig. Aprèstant d’années. Mais, disait-il, « c’était une chance ». Mouloud était comme ça, il ycroyait, en la France.C’est dans <strong>le</strong> bureau du commissariat de police du secteur que Mouloud, unsoir, me raconta sa vie. Avec fierté. Pour que je comprenne. Leila l’accompagnait.C’était il y a deux ans. Je venais d’interpel<strong>le</strong>r Driss et Kader. Quelques heures plustôt, Mouloud avait acheté des pi<strong>le</strong>s pour <strong>le</strong> transistor que ses enfants lui avaient offert.Des pi<strong>le</strong>s au détail. Les pi<strong>le</strong>s ne marchaient pas. Kader descendit chez <strong>le</strong> droguiste,sur <strong>le</strong> bou<strong>le</strong>vard, pour <strong>le</strong>s échanger. Driss <strong>le</strong> suivait.- Savez pas <strong>le</strong> faire marcher, c’est tout.- Si, je sais, répondit Kader. ‘Pas la première fois, quoi.- Vous <strong>le</strong>s Arabes, vous savez toujours tout.- C’est pas poli, m’dame, de dir’ça.- J’suis polie si je veux. Mais pas avec des sa<strong>le</strong>s bicots comme vous. Vous mefaites perdre mon temps. Reprends tes pi<strong>le</strong>s. Que d’abord c’est des vieil<strong>le</strong>s que t’aspas achetées chez moi.- C’est mon pèr’. Les a achetées t’à l’heure.Son mari surgit de l’arrière boutique avec un fusil de chasse.- Va l’chercher ton menteur de père ! J’lui ferai ava<strong>le</strong>r ses pi<strong>le</strong>s. Il avait jeté <strong>le</strong>spi<strong>le</strong>s par terre. Tirez-vous ! Bordil<strong>le</strong>s, que vous êtes !Kader poussa Driss hors du magasin. Puis tout alla très vite. Driss, qui n’avaitencore rien dit, ramassa une grosse pierre, et la balança dans la vitrine. Il partit encourant, suivi par Kader. Le type était sorti du magasin et <strong>le</strong>ur avait tiré dessus. Sans<strong>le</strong>s atteindre. Dix minutes après, une centaine de gosses assiégeaient <strong>le</strong> droguiste. Ilfallut plus de deux heures, et un car de C.R.S., pour ramener <strong>le</strong> calme. Sans mort, nib<strong>le</strong>ssé. Mais j’étais furieux. Ma mission, justement, c’était d’éviter de faire appel auxC.R.S. Pas d’émeute, pas de provocation, et surtout pas de bavures.J’avais écouté <strong>le</strong> droguiste.- Les crouil<strong>le</strong>s, y en a trop. C’est ça <strong>le</strong> problème.- Ils sont là. C’est pas vous qui <strong>le</strong>s avez amenés. C’est pas moi non plus. Ilssont là. Et nous devons vivre avec.- Vous êtes pour eux, vous ?- Faites pas chier, Varounian. Ils sont arabes. Vous êtes arménien.- Fier de l’être. Z’avez quoi contre <strong>le</strong>s Arméniens ?- Rien. Contre <strong>le</strong>s Arabes non plus.- Ouais. Et ça donne quoi ? Le centre, on dirait Alger, ou Oran. Z’y êtes allé, làbas? Moi oui. Vé, ça te pue pareil maintenant. Je <strong>le</strong> laissai par<strong>le</strong>r. Avant, tubousculais un bougnou<strong>le</strong> dans la rue, il s’excusait. Maintenant, il te dit : « Tu peux past’excuser ! » Sont arrogants, voilà c’qu’y sont ! Se croient chez eux, merde !Puis, je n’eus plus envie d’écouter. Ni même de discuter. Ça m’écœurait. Etc’était tout <strong>le</strong> temps comme ça. L’écouter, c’était comme lire Le Méridional. Chaquejour, <strong>le</strong> quotidien d’extrême-droite distillait la haine. Un jour ou l’autre, avait-il étéjusqu’à écrire, il faudra employer <strong>le</strong>s C.R.S., <strong>le</strong>s Gardes mobi<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s chiens policierspour détruire <strong>le</strong>s casbahs marseillaises… Ça péterait un jour, si on ne faisait rien.C’était sûr. Je n’avais pas de solution. Personne n’en avait. Il fallait attendre. Ne passe résigner. Parier. Croire que Marseil<strong>le</strong> survivrait à ce nouveau brassage humain.Renaîtrait. Marseil<strong>le</strong> en avait vu d’autres.J’avais renvoyé chacun dans son camp. Avec des amendes pour « désordresur la voie publique », précédées d’un petit coup<strong>le</strong>t moral. Varounian partit <strong>le</strong> premier.- Aux flics comme vous, on fera la fête, dit-il en ouvrant la porte. Bientôt. Quandon s’ra au pouvoir.
- Page 2 and 3: Total KheopsTome 1 - Saga Fabio Mon
- Page 4 and 5: « Il n’y a pas de vérité, il n
- Page 6 and 7: chassé le rêve. Elle le regarda a
- Page 8 and 9: - Je suis l’ami de Manu.- Salut,
- Page 10 and 11: Il avait pris le bus, le 55, jusqu
- Page 12 and 13: Change d’identité, le plus vite
- Page 14 and 15: 1 - Où même pour perdre il faut s
- Page 16 and 17: qui avaient transité une journée
- Page 18 and 19: assis sur les rochers, silencieux,
- Page 20 and 21: Laurent.- T’es con ou quoi ! C’
- Page 22 and 23: 2 - Où même sans solution, parier
- Page 26 and 27: - Au revoir, monsieur Varounian, r
- Page 28 and 29: ochettes aux cent épices, grillée
- Page 30 and 31: 3 - Où l’honneur des survivants,
- Page 32 and 33: qu’un flic pouvait déborder la l
- Page 34 and 35: Je vous rappelle encore avant de vi
- Page 36 and 37: échangé six ou sept phrases. Auss
- Page 38 and 39: 4 - Où un cognac n’est pas ce qu
- Page 40 and 41: Une succession de commerces, de res
- Page 42 and 43: alla directement dans la salle de b
- Page 44 and 45: - Les autres.- Quels autres ?- Ben,
- Page 46 and 47: 5 - Où dans le malheur, l’on dé
- Page 48 and 49: - Leila, tu vois, elle l’a eue ce
- Page 50 and 51: ne l’imaginais pas aussi machiav
- Page 52 and 53: ien huilée, j’avais fait revenir
- Page 54 and 55: 6 - Où les aubes ne sont que l’i
- Page 56 and 57: posa deux balles, parallèlement au
- Page 58 and 59: indifférence. Comme absent au mond
- Page 60 and 61: surveillait. Il ramassait plus tard
- Page 62 and 63: 7 - Où il est préférable d’exp
- Page 64 and 65: Je l’attirai vers moi. Elle avait
- Page 66 and 67: Il tenait un gobelet d’une main.
- Page 68 and 69: aujourd’hui ceinturé, dominé pa
- Page 70 and 71: 8 - Où ne pas dormir ne résout pa
- Page 72 and 73: Voilà, ce que j’en pense.- J’s
- Page 74 and 75:
Tunisie, et on le revendait le doub
- Page 76 and 77:
coincés, ils avaient démissionné
- Page 78 and 79:
9 - Où l’insécurité ôte toute
- Page 80 and 81:
grand sourire. Un sourire carnassie
- Page 82 and 83:
keufs. Mes potes, y les ont chouff
- Page 84 and 85:
était partie.- Je vous dérange pa
- Page 86 and 87:
- Elle a rien dit du tout. C’est
- Page 88 and 89:
- L’auberge des Restanques. À la
- Page 90 and 91:
- C’est mieux, m’entendis-je r
- Page 92 and 93:
- T’aurais dû me faire l’amour
- Page 94 and 95:
devienne amis, mais j’aimais bien
- Page 96 and 97:
orgueil. Quant à votre soi-disant
- Page 98 and 99:
l’Astra spécial en poche. Je lui
- Page 100 and 101:
12 - Où l’on côtoie l’infinim
- Page 102 and 103:
point. Ce qui est rare. Habituellem
- Page 104 and 105:
plantai mes yeux dans ceux de Batis
- Page 106 and 107:
- Mais pas Zucca, hein ?Il ne répo
- Page 108 and 109:
Françoise. Il était obligé de pa
- Page 110 and 111:
de-Mai restait identique à lui-mê
- Page 112 and 113:
- Z’avez serré un dealer, paraî
- Page 114 and 115:
« Crève-le ! » l’avait encoura
- Page 116 and 117:
- Allo. Une voix d’homme, avec un
- Page 118 and 119:
C’est ça qu’ils avaient dû lu
- Page 120 and 121:
sûr que les parents de Karine, sur
- Page 122 and 123:
Tanagra. L’un des truands abattu
- Page 124 and 125:
le téléphone personnel de Pérol.
- Page 126 and 127:
pourtant ça que j’avais envie de
- Page 128 and 129:
ÉpilogueRien ne change, et c’est
- Page 130:
Le monde se remettait en ordre. Nos