ÉVALUATION DE LA CORRUPTION AU SÉNÉGAL
ÉVALUATION DE LA CORRUPTION AU SÉNÉGAL
ÉVALUATION DE LA CORRUPTION AU SÉNÉGAL
- TAGS
- corruption
- pdf.usaid.gov
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
ANNEXE 3. <strong>LA</strong> CULTURE SERAIT-ELLE UN <strong>DE</strong>S RESSORTS <strong>DE</strong> <strong>LA</strong><br />
M<strong>AU</strong>VAISE GOUVERNANCE ET <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>CORRUPTION</strong> ? 38<br />
Les pays pauvres continuent d’être stigmatisés comme terreau de la corruption. Cette perception a<br />
tendance à grossir les vulnérabilités entraînées par la précarité des conditions de vie et à présenter les<br />
traits culturels comme étant porteuses de fortes perméabilités aux dérives de mauvaise gouvernance. Une<br />
telle lecture doit être corrigée en particulier lorsque l’on élabore une stratégie visant à accompagner<br />
l’effort d’asseoir une bonne gouvernance et de résorber les pratiques corruptives.<br />
Intrinsèquement, il n’y a pas de culture plus portée à la corruption que d’autres. La mauvaise gouvernance<br />
n’est pas non plus programmée comme allant de soi dans les sociétés du Sud et partie intégrante de leur<br />
identité. Les goulots d’étranglement que les sociétés du Sud ont connu ont perturbé les modes de<br />
régulation propre de ces sociétés. Il s’en suit un réajustement au modèle séculaire de démocratie à<br />
l’occidentale présentée comme l’unique repère. Pour se couler à la matrice du monde, les sociétés du Sud<br />
sont en mouvement vers une transition démocratique. Les institutions et les mécanismes qui portent cette<br />
perspective se construisent dans la durée. Mais les impératifs à courts termes suscitent dérégulations et<br />
perversion des valeurs. En s’ajustant, les acteurs peuvent être amenés à utiliser des raccourcis et à<br />
s’adonner à des pratiques simplistes. Il faudrait donc examiner la corruption comme l’une des<br />
conséquences de l’inadaptation et de l’inefficacité des institutions de gouvernance et de régulation. Les<br />
pratiques corruptives se mêlent des pratiques sociales en s’y incrustant pour faire corps avec et<br />
revendiquer une identité locale voire culturelle.<br />
Au Sénégal, de nombreuses sociétés sont organisées selon un modèle hiérarchique qui ne laisse que peu<br />
de place à la communication intergénérationnelle. Aux rapports intenses au sein des groupes de pairs,<br />
s’oppose la distance sociale entre génération et de genre. La médiation sociale devient dès lors un recours<br />
courant dans la vie sociale. Elle ne porte pas les germes de manipulation et d’abus. Lorsque des acteurs<br />
tentent d’en corrompre d’autres, ils peuvent détourner cet élan à éviter de faire perdre la face par le<br />
recours à la médiation. La médiation sociale est certes plus présente dans une société que dans une autre.<br />
Elle n’est pas pour autant faite pour favoriser la corruption. Le corrupteur a cependant tendance à en<br />
abuser en créant ce qu’on appelle, en théorie des réseaux, le trou structural, consistant à traiter séparément<br />
avec deux acteurs en veillant à ce que ces derniers ne soient pas en lien direct. De cette façon, il contrôle<br />
une zone grise qui lui confère le pouvoir d’agir et de manipulation.<br />
Dans le cadre des services publics et quelques fois des services privés, les acteurs ne sont pas à l’aise avec<br />
le caractère anonyme des institutions qui est un des traits du modèle séculaire tendant tenir à équidistance<br />
les usagers. Ils cherchent à lever cet anonymat en identifiant un médiateur au sein du service public afin<br />
de faciliter l’accès et la qualité des prestations attendues. Le médiateur est recruté au sein des groupes de<br />
pairs. En effet, lorsqu’on se présente dans une structure offrant des services, c’est parmi les personnes<br />
dont on soupçonne une similarité de condition qu’on espère le plus d’écoute et de soutien. La hiérarchie<br />
se reproduit même pour le choix du médiateur. Le lien avec le médiateur est du domaine de l’implicite, la<br />
facilitation souhaitée est « hors service », en dehors des règles pour tous. C’est donc en soi une faveur qui,<br />
lorsqu’elle est rétribuée, entre dans la nomenclature des pratiques corruptives.<br />
Le fait que l’acteur s’adapte et finit par banaliser des petites pratiques corruptives est devenu constant au<br />
point qu’il convient d’intervenir en amont sur le caractère anonyme des services publics. Il faut donc bâtir<br />
des institutions publiques organisées à s’adapter aux dynamiques des liens interpersonnels forts,<br />
considérant que le service à l’origine de l’échange demeure une opportunité d’activer des liens dans la<br />
38 This section was written by Senegalese sociologist Abdou Salam Fall.<br />
<strong>ÉVALUATION</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>CORRUPTION</strong> <strong>AU</strong> <strong>SÉNÉGAL</strong> 75