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– Oui.<br />
– Tu pleurais pour ça ? Une calculatri<strong>ce</strong> ?<br />
Voyant que je ne répondais rien, il a insisté :<br />
– Ça doit être une sacrée calculatri<strong>ce</strong>… Remarque, je comprends, on doit se sentir vraiment mal de<br />
perdre une calculatri<strong>ce</strong> très pointue. Peut-être que tu t’en voulais d’avoir été négligente ?<br />
– Oui, plus ou moins.<br />
– C’est pas pour ça que tu es quelqu’un de m<strong>au</strong>vais, Valérie, par<strong>ce</strong> que de temps en temps tu oublies<br />
ta calculette… Et puis, si tu devais en acheter une nouvelle… eh bien, tu n’<strong>au</strong>rais que l’embarras du<br />
choix.<br />
Quelques jours plus tard, Mme Tate était près de la photocopieuse de l’administration quand je suis<br />
allée prendre un billet de retard. J’ai essayé de passer ni vu ni connu, mais la secrétaire – pas vraiment<br />
une championne de la discrétion – a hurlé :<br />
– Tu as un <strong>ce</strong>rtificat médical, Valérie ?<br />
Évidemment, Tate s’est retournée et m’a vue. Elle m’a fait signe de la suivre dans son bure<strong>au</strong>, alors<br />
que j’avais mon p<strong>au</strong>vre petit billet à la main.<br />
Curieusement, la piè<strong>ce</strong> donnait l’impression d’avoir été rangée et nettoyée peu de temps avant. Il y<br />
avait toujours des piles de bouquins par terre, mais toutes rassemblées <strong>au</strong> <strong>ce</strong>ntre. Les papiers gras de<br />
fast-food avaient disparu, et le meuble-classeur un peu branlant avait été remplacé par une grande<br />
armoire noire flambant neuve. Elle avait réuni toutes ses photos <strong>au</strong> sommet de <strong>ce</strong> meuble, si bien que son<br />
bure<strong>au</strong> avait l’air dégagé, propre, en dépit des montagnes de paperasses déposées çà et là.<br />
Je me suis assise sur une chaise pendant qu’elle posait une fesse sur son bure<strong>au</strong>. Elle a remis en pla<strong>ce</strong><br />
une mèche qui s’était échappée de son chignon du bout d’un ongle parfaitement manucuré et m’a demandé<br />
avec un grand sourire :<br />
– Comment vas-tu, Valérie ?<br />
Sa voix était très dou<strong>ce</strong>, comme si j’étais un objet fragile qu’elle risquait de briser.<br />
– Ça va, disons.<br />
J’ai agité mon mot d’excuse en ajoutant :<br />
– J’avais un rendez-vous chez le médecin. Pour ma jambe.<br />
– Comment va-t-elle, <strong>ce</strong>tte jambe ?<br />
– Pas trop mal.<br />
– C’est bien. Tu as vu le docteur Hieler ré<strong>ce</strong>mment ?<br />
– Il y a deux ou trois jours, oui, après la réunion du BDE.<br />
– Bien, bien. J’ai cru comprendre que c’était un médecin formidable. Très bon dans sa spécialité.<br />
J’ai pensé à tous les moments où je me sentais mieux reconnue, en sécurité. D’une façon ou d’une<br />
<strong>au</strong>tre, le docteur Hieler y était toujours pour quelque chose.<br />
Mme Tate s’est levée pour s’affaler dans un f<strong>au</strong>teuil qui, sous son poids, a émis un petit couinement.<br />
– Je voulais te dire deux ou trois mots <strong>au</strong> sujet du déjeuner…<br />
Oh, non ! L’heure du déjeuner n’était pas vraiment mon moment préféré de la journée. Le Foyer était<br />
trop marqué par le drame, et Sta<strong>ce</strong>y et moi, on se croisait toujours devant la table de condiments avant<br />
qu’elle aille rejoindre mon ancienne bande en m’ignorant, du coup j’allais dans le couloir en faisant<br />
comme si j’avais choisi de déjeuner toute seule dans mon coin, assise par terre devant les toilettes des<br />
garçons.<br />
– Je te vois tous les jours dans le couloir, Valérie. Pourquoi est-<strong>ce</strong> que tu ne déjeunes pas dans le<br />
Foyer ? (Elle s’est penchée vers moi en joignant les mains comme pour prier.) Jessica est venue me voir<br />
hier. Apparemment elle t’a proposé de venir déjeuner à sa table, mais tu as refusé. C’est vrai ?<br />
– Oui. Mais c’était il y a quelque temps. Ce n’est pas à c<strong>au</strong>se d’elle. J’étais occupée… je travaillais