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mais il n’y avait aucune hostilité entre nous. On se disait toujours bonjour quand on se croisait dans les
couloirs ou en attendant le car. Sans plus.
– Euh… Mme Tate nous a conseillé de discuter de… euh… ce qui s’est passé…
– Et puis c’est pas juste que Ginny ait été obligée de sortir de la salle, a ajouté Meghan.
Alors que Sean avait fait l’effort de m’éviter en prenant la parole, Meghan, elle, avait ostensiblement
pivoté la tête pour me fusiller du regard.
– Elle n’a rien fait de mal, Ginny, a renchéri Meghan.
– Personne n’a demandé à Ginny de sortir, a répondu Mme Tennille en tripotant son feutre. Je pense
que ce que voulait dire Mme Tate, c’est que vous pouvez aller la voir dans son bureau quand vous voulez
pour discuter avec elle.
– Pas du tout.
La voix venait de derrière moi. J’ai cru reconnaître celle d’Alex Gold, mais j’étais tellement
tétanisée que je n’ai pas pu me retourner pour vérifier. Mes ongles creusaient la paume de ma main à tel
point que j’avais des petits croissants violets dans la peau qui me faisaient mal.
– Pas du tout, le type spécialiste des traumatismes que le lycée nous a envoyé nous a dit qu’on devait
se sentir libres de parler quand on en avait besoin. Non pas que j’en aie besoin, remarquez, pour moi, tout
ça, c’est du passé.
– Tant mieux pour toi. T’as pas eu le visage explosé ! a répliqué Meghan.
– Parce que je ne l’ai jamais harcelé, Nick Levil, moi !
– Ça suffit, est intervenue Mme Tennille – mais la discussion allait déjà bon train. Revenons à nos
moutons…
– Toi non plus, a ajouté Susan Crayson, assise juste à droite de Meghan. Toi non plus, tu n’as pas eu
la tronche explosée. Tu n’étais pas particulièrement amie avec Ginny avant la tuerie, que je sache, non ?
Sauf que tu adores le drame.
À partir de ce moment-là, ça a été l’enfer, tout le monde s’est déchaîné. Chacun y allait de son point
de vue et il n’y avait plus moyen de s’entendre.
– … j’aime le drame ? Ma copine est morte…
– … et puis Valérie n’a pas tiré, aux dernières nouvelles. Elle a juste incité Nick à le faire. Or il est
mort, alors on s’en fout.
– Mme Tate nous a dit que c’est pas en s’engueulant qu’on résoudrait…
– … assez morflé avec les cauchemars que j’ai toutes les nuits à cause de ça, alors si en plus quand
j’arrive en cours, je…
– … alors comme ça j’aurais aimé le fait que Ginny se fasse tirer dessus parce que je suis attirée par
le drame ? Tu es sérieuse ?
– … avait été sympa avec Nick, peut-être que rien de tout ça ne serait arrivé. C’est pas justement le
point le plus important de… ?
– … mon avis, il méritait de mourir. Je suis contente qu’il ne soit plus là…
– … qu’est-ce que t’en sais des copains, toi, espèce de nul…
Ils étaient tellement excités et occupés à régler leurs comptes entre eux qu’ils avaient oublié de me
régler le mien. Plus personne ne me regardait. Quant à Mme Tennille, elle avait renoncé, affalée sur sa
chaise, observant en silence la fenêtre en jouant avec le haut de son col, le menton frémissant légèrement.
À en croire les reportages qui passaient à la télé, ces gentils élèves se retrouvaient dans la cafétéria
tous les matins pour chanter Give Peace a Chance en se tenant tendrement la main. Sauf que c’était
exactement le contraire. Ils étaient à couteaux tirés. Toutes les vieilles rivalités, les vieilles blagues et les
vieilles rancunes revenaient, là sous mes yeux, derrière les histoires de chirurgie esthétique, les
hochements de tête pleins de commisération et les Kleenex froissés.
Il y en avait deux qui pleuraient. Deux autres étaient pliés de rire.