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Je suis rentrée à pied au lycée. Je n’avais pas le choix. J’ai appelé Maman en route pour lui laisser un
message :
« Salut, Maman. J’avais un devoir à faire sur place et j’avais besoin d’aide, du coup j’ai raté le bus.
J’attendrai que tu passes me prendre après ta réunion. »
À peine arrivée au lycée, j’ai foncé à l’intérieur et j’ai déposé mes affaires au pied de la vitrine
géante de l’entrée, un mélange de coupes de football, de médailles de course à pied et de gigantesques
photos d’entraîneurs disparus depuis des lustres. Depuis l’époque de gloire du lycée. Ou tout simplement
disparus.
Je me suis assise au pied de la vitrine et j’ai pris mon carnet. J’avais besoin de dessiner, de canaliser
mes émotions en les exprimant sur papier. Mais que dessiner ? J’étais trop bouleversée pour voir la
réalité. Incapable de guider mon crayon pour qu’apparaissent les traits de Britni/Brenna. Et si je traçais
une courbe suivant le contour des yeux coupables de Papa – son méga-secret maintenant dévoilé ? Était-il
prêt à l’épouser ? J’avais du mal à l’imaginer en train de câliner un bébé et de lui dire qu’il l’aimait.
D’emmener un petit bout de chou à un match de baseball. De vivre une vie qu’il considérerait comme sa
« vraie vie », celle qu’il méritait plutôt que celle qu’il s’était coltinée.
J’ai commencé à dessiner – le ventre arrondi d’une femme enceinte est aussitôt apparu de profil. J’ai
ajouté un fœtus, recroquevillé, suçant son pouce, minuscule, blotti autour du cordon ombilical. J’ai tracé
une nouvelle courbe en face. Une larme glissant sur un nez étroit. Les yeux de Maman. Une ligne de
séparation furieuse entre les deux. Et une autre larme, accrochée au bout d’un cil, sur lequel j’ai écrit mon
nom.
Quelqu’un a claqué la porte d’un casier, et des bruits de pas se sont rapprochés. Vite, j’ai fermé mon
carnet.
– Tiens, salut !
C’était Jessica Campbell, qui avançait vers moi à grands pas.
– Salut.
Elle a déposé son sac à dos et s’est assise en tailleur à côté de moi.
– J’attends Meghan, a-t-elle ajouté. Elle a été obligée de repasser son examen d’allemand. Je lui ai
promis de la ramener chez elle après.
Elle s’est raclé la gorge un peu bruyamment avant d’ajouter :
– Tu veux que j’en profite pour te déposer ? Aucun problème, si tu peux attendre que Meghan ait fini.
Elle n’en a pas pour très longtemps.
– C’est bon, j’attends Maman. Elle ne va pas tarder. Mais… merci.
– De rien.
Une nouvelle porte de casier a retenti du côté des salles de sciences.