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39<br />
Je suis sortie de l’as<strong>ce</strong>nseur de l’hôpital <strong>au</strong> troisième étage, dans le servi<strong>ce</strong> psychiatrique. J’avais<br />
une boule d’angoisse <strong>au</strong> fond du ventre, persuadée qu’<strong>au</strong> premier f<strong>au</strong>x pas, quelqu’un se précipiterait sur<br />
moi avec une camisole, me ramènerait illico dans ma chambre et m’obligerait à rester et à participer à<br />
leurs séan<strong>ce</strong>s débiles de thérapie. M’obligerait à écouter <strong>ce</strong>t imbécile de docteur Dentley répéter « Je<br />
vais vous dire <strong>ce</strong> que j’ai entendu, mademoiselle Leftman. Laissez-moi vous le prouver. »<br />
Je suis entrée dans la salle des infirmières. Une aide--soignante <strong>au</strong>x cheveux en brosse a levé les<br />
yeux sur moi. Curieusement, elle ne me disait rien : soit j’étais trop sonnée par les médicaments quand<br />
j’étais ici pour avoir enregistré son visage, soit elle venait d’arriver. Ce qui devait être le cas,<br />
puisqu’elle non plus ne m’a pas reconnue.<br />
– Oui ? m’a-t-elle demandé avec <strong>ce</strong>t air soupçonneux et blasé qu’ont les infirmières psychiatriques,<br />
comme si j’étais venue prêter main-forte à un patient pour qu’il s’échappe.<br />
– Je viens voir Ginny Baker.<br />
– Tu es de la famille ?<br />
Elle a fouillé dans les papiers qui traînaient sur son bure<strong>au</strong> en m’ignorant.<br />
– Je suis sa demi-sœur, ai-je répondu illico, surprise de voir avec quelle facilité je mentais.<br />
Elle n’en croyait manifestement pas un mot, mais que pouvait-elle faire – m’imposer un test ADN ?<br />
– 421, par là, à g<strong>au</strong>che, m’a-t-elle répondu.<br />
Vite, j’ai filé dans le couloir en priant pour que personne ne me voie – le docteur Dentley, par<br />
exemple. J’ai respiré un bon coup et je suis entrée dans la chambre numéro 421.<br />
Ginny était allongée dans son lit, légèrement redressée, avec des perfusions <strong>au</strong>x bras et entourée de<br />
moniteurs de contrôle. Elle regardait la télé d’un air absent. Un gobelet en polystyrène avec une paille<br />
rayée pliable traînait sur la table devant elle. Sa mère était assise à côté de son lit et regardait <strong>au</strong>ssi la<br />
télé où passait je ne sais quelle émission de mi--journée. Ni l’une ni l’<strong>au</strong>tre ne parlait. Et ni l’une ni<br />
l’<strong>au</strong>tre ne semblait avoir pris la peine de se laver les cheveux.<br />
Mme Baker fut la première à me voir. J’ai senti que son corps se tendait, et elle n’a pas pu<br />
s’empêcher d’entrouvrir la bouche.<br />
– Pardon de vous déranger, me suis-je excusée.<br />
Enfin… je crois que c’est <strong>ce</strong> que j’ai dit. J’étais tellement dans mes petits souliers que je n’en suis<br />
pas <strong>ce</strong>rtaine.<br />
Ginny m’a regardée à son tour. De nouve<strong>au</strong>, j’ai été frappée de voir à quel point elle était défigurée.<br />
Et de nouve<strong>au</strong>, j’ai eu les larmes <strong>au</strong>x yeux. La vision de ses jolies pommettes massacrées et de ses lèvres<br />
déformées était un choc.<br />
– Qu’est-<strong>ce</strong> que tu fais ici ?<br />
– Je suis désolée de te déranger. Je voulais juste te parler.