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Ce jour-là, j’ai ouvert mon sac à dos avec la ferme intention de faire mon devoir de biologie, s<strong>au</strong>f<br />

que je suis tombée sur mon carnet de dessin. Je l’ai ouvert. J’avais dessiné une rangée d’élèves du cours<br />

de gym, avec des visages dominés par un trou à la pla<strong>ce</strong> de la bouche, qui s’apprêtaient à rejoindre la<br />

piste d’entraînement. Il y avait un pr<strong>of</strong> – le pr<strong>of</strong> d’espagnol, señor Ruiz – qui avait le regard perdu, en<br />

h<strong>au</strong>t des escaliers, <strong>au</strong>-dessus d’une foule d’élèves. Son visage était impassible, vide, juste un ovale sans<br />

rien. On y voyait <strong>au</strong>ssi, c’est <strong>ce</strong> que je préférais, M. Angerson, perché sur une version réduite du lycée,<br />

qui ressemblait étrangement <strong>au</strong> « Petit Poulet » du dessin animé. C’était ma version à moi de la<br />

« nouvelle vie plus saine du lycée de Garvin ».<br />

Peu à peu j’ai perdu la notion du temps, con<strong>ce</strong>ntrée sur un croquis <strong>au</strong>quel je voulais donner un peu de<br />

chair, qui représentait Sta<strong>ce</strong>y et Du<strong>ce</strong> à l’heure du déjeuner, leurs dos tels des murs de briques. Soudain<br />

j’ai vu que le soleil était déjà très bas dans le ciel, et quelqu’un a frappé à ma porte.<br />

– Pas tout de suite, Frankie !<br />

J’avais besoin de temps pour réfléchir. En plus je voulais finir mon dessin avant de m’attaquer à mon<br />

devoir de biologie.<br />

Toc toc toc…<br />

– Désolée, je suis occupée !<br />

La porte s’est entrouverte et je me suis m<strong>au</strong>dite d’avoir oublié de la fermer à clé.<br />

– Je t’ai dit que…<br />

Tout à coup, qui vois-je ? Jessica Campbell !<br />

– Pardon. Je ne pouvais pas venir plus tard. J’ai appelé deux ou trois fois, mais ta mère m’a dit que tu<br />

refusais de répondre <strong>au</strong> téléphone.<br />

Tiens, tiens… Maman filtrait mes appels ?<br />

– Du coup elle t’a dit de passer ?<br />

Maman savait très bien qui était Jessica Campbell. Chacun savait qui était Jessica Campbell dans le<br />

monde libre. Mais ac<strong>ce</strong>pter qu’elle rentre comme ça, chez moi, sans contrôle, c’était… un peu risqué,<br />

disons.<br />

– Non, c’est moi qui ai eu l’idée.<br />

Elle s’est avancée jusqu’<strong>au</strong> bord de mon lit.<br />

– Ta mère m’a dit que tu refuserais de me voir. J’ai répondu que je voulais quand même tenter le<br />

coup, alors elle m’a <strong>au</strong>torisée à entrer. À mon avis, elle ne m’apprécie pas des masses.<br />

– Fais-moi confian<strong>ce</strong>, ai-je répondu en gloussant, si tu pouvais être sa fille, elle en serait folle de<br />

joie. C’est pas toi qu’elle n’aime pas, c’est moi. Jusque-là rien de nouve<strong>au</strong> sous le soleil.<br />

J’ai réalisé que ma réflexion était un peu déplacée fa<strong>ce</strong> à <strong>ce</strong>tte fille que je connaissais à peine.<br />

– Pourquoi tu es venue ? On ne peut pas dire que tu m’aimes be<strong>au</strong>coup, toi non plus.<br />

Elle est devenue rouge comme une pivoine et j’ai cru qu’elle allait éclater en sanglots. Là encore,<br />

c’était l’antithèse de la Jessica que je connaissais. Elle avait perdu toute son assuran<strong>ce</strong>, son petit air de<br />

supériorité – remplacé par <strong>ce</strong>tte vulnérabilité inattendue qui ne lui allait pas. Elle a balancé la tête de<br />

côté en rejetant sa chevelure comme une pro avant de s’installer sur mon lit en m’annonçant :<br />

– Je me suis assise à côté de Sta<strong>ce</strong>y en cours, <strong>au</strong>jourd’hui.<br />

– Et alors ?<br />

– On a un peu parlé de toi.<br />

J’ai senti mon visage devenir brûlant. Mes élan<strong>ce</strong>ments dans la jambe ont repris – signe que je<br />

commençais à paniquer. Le docteur Hieler m’avait rassurée en me disant que les élan<strong>ce</strong>ments étaient dans<br />

ma tête, mais j’ai eu le réflexe de poser la main sur ma cicatri<strong>ce</strong> en appuyant à travers mon jean.<br />

Et voilà, elle venait pour que je comprenne que je n’avais pas ma pla<strong>ce</strong> dans sa bande. Plus jamais<br />

ils ne m’attendraient pour que j’aille déjeuner ou ouvrir mon casier avec eux. J’étais la p<strong>au</strong>vre fille que<br />

tout le monde détestait. C’était ça, non ? C’était leur façon de se venger ?

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