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Quelques instants plus tard j’ai entendu un bruissement près de ma porte et j’ai ouvert un œil. C’était<br />

Frankie, appuyé contre l’encadrement, comme hésitant. Bizarrement, il avait l’air un peu plus âgé : il<br />

avait les cheveux en brosse, brillants et couverts de gel, et il portait une longue chemise à peine<br />

boutonnée <strong>au</strong>-dessus d’un T-shirt Abercrombie et d’un jean vieilli. Il avait l’air doux comme un agne<strong>au</strong>,<br />

inno<strong>ce</strong>nt, avec des petites taches roses sur les joues comme s’il était intimidé. Le fait est qu’il avait peutêtre<br />

l’impression d’être en trop…<br />

Depuis le départ de Papa, il vivait plus ou moins chez son meilleur ami, Mike. Un jour j’avais surpris<br />

Maman en train d’expliquer à la mère de Mike qu’elle avait besoin de se con<strong>ce</strong>ntrer sur son aînée et<br />

qu’elle ne dirait pas non si Frankie pouvait passer un <strong>ce</strong>rtain temps chez eux. C’est sans doute <strong>ce</strong> qui<br />

expliquait son changement. La mère de Mike faisait partie de <strong>ce</strong>s mamans modèles dont il était hors de<br />

question que le fils parade avec les cheveux hérissés à la punk, encore moins qu’il mette son lycée à feu<br />

et à sang. À part ça, Frankie était un mec bien. C’était clair.<br />

– Salut, Val. Ça va ?<br />

– Ouais, je suis juste un peu crevée.<br />

– Ils vont te renvoyer à l’hôpital, tu crois ?<br />

– Mais non, Papa dit n’importe quoi par<strong>ce</strong> qu’il a besoin de lâcher la pression. Il a envie que je<br />

dégage.<br />

– Tu penses qu’il f<strong>au</strong>t que t’y retournes ? Genre… t’es folle ?<br />

J’ai failli éclater de rire. Du reste je n’ai pas pu m’empêcher de glousser en répondant que non, je<br />

n’étais pas folle.<br />

– C’est par<strong>ce</strong> qu’ils étaient en train de s’engueuler. T’inquiète, ça va passer.<br />

– En tout cas, si tu… (Il s’est interrompu, tripotant mon couvre-lit avec ses ongles ras.) Si tu y<br />

retournes, je t’écrirai.<br />

J’ai failli me précipiter sur lui pour le serrer dans mes bras. Le consoler. Lui dire qu’il n’était pas<br />

question qu’on me renvoie dans <strong>ce</strong> servi<strong>ce</strong> psychiatrique à la noix. Mais que pour le moment je préférais<br />

me tenir à distan<strong>ce</strong> de Papa jusqu’à <strong>ce</strong> qu’il se calme. Et qu’un jour toute la famille se retrouverait – et ça<br />

serait encore plus sympa.<br />

Mais j’ai préféré me taire, plutôt que lui donner de f<strong>au</strong>x espoirs en le laissant imaginer la vie en rose.<br />

Après tout, comment savoir <strong>ce</strong> qui allait se passer ?<br />

– Papa va m’acheter un quatre-quatre ! s’est-il exclamé tout à coup, les yeux brillants. Il me l’a<br />

promis <strong>au</strong> téléphone hier soir. En plus, il va m’apprendre à le conduire. Trop génial, non ?<br />

– Génial, oui.<br />

J’ai essayé d’avoir l’air <strong>au</strong>ssi enthousiaste. C’était tellement bien de le voir sourire et se réjouir<br />

comme avant. Pourtant j’avais du mal à croire que Papa tiendrait sa promesse. Ça serait trop… typique<br />

d’un vrai père… et de <strong>ce</strong> côté-là, Frankie et moi, on ne se faisait plus la moindre illusion.<br />

– Si tu veux, tu pourras <strong>au</strong>ssi le conduire. Si, disons… si un jour tu viens chez Papa.<br />

– Merci. Ça serait trop cool.<br />

Il était assis sur mon lit et il avait l’air un peu mal à l’aise, comme souvent les garçons quand la<br />

situation est tendue. Si j’avais été une grande sœur à la h<strong>au</strong>teur, je lui <strong>au</strong>rais dit d’aller s’amuser, mais sa<br />

présen<strong>ce</strong> me faisait du bien. Il dégageait quelque chose qui me rassurait. Qui me donnait de l’espoir.<br />

Hélas, il s’est bientôt redressé pour m’annon<strong>ce</strong>r :<br />

– Bon, f<strong>au</strong>t que je retourne chez Mike. Ce soir on va à la messe. (Il a baissé la tête légèrement, un peu<br />

gêné.) Bon… à plus, salut.<br />

Et il a disparu.<br />

Je me suis affalée contre mes oreillers, fixant les chev<strong>au</strong>x de mon papier peint qui galopaient vers le<br />

néant. J’ai fermé les yeux et essayé d’imaginer que je chev<strong>au</strong>chais l’un d’eux, comme avant. Impossible.<br />

Tout <strong>ce</strong> que je voyais, c’étaient des chev<strong>au</strong>x qui me décochaient des ruades pour que je tombe, et paf ! je

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