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J’avais hâte de le retrouver. Sentir le goût de chewing-gum à la cannelle dans son souffle, enfouir ma tête
dans le creux de son bras à l’heure du déjeuner, m’asseoir contre lui comme si c’était un bouclier et que
plus rien ne pouvait nous atteindre : Christy Bruter, Jeremy, Maman et Papa et leurs « discussions » qui
se transformaient systématiquement en hurlements, jusqu’au moment où Papa filait comme un voleur au
cœur de la nuit, laissant Maman pleurnicher dans sa chambre, pathétique.
Le car a ralenti avant de s’arrêter une fois, puis une deuxième. J’avais les yeux rivés de l’autre côté
de la vitre sur un fox-terrier qui fourrageait avec son museau dans un sac-poubelle déposé devant une
maison. La queue du chien remuait dans le vent tandis que sa tête était plongée dans le sac. Je ne sais pas
comment il respirait et j’aurais été curieuse de savoir ce qu’il avait découvert qui semblait tellement
l’exciter.
Le car a redémarré et j’ai monté le volume de mon MP3 pour couvrir le vacarme des élèves dont le
nombre augmentait de façon exponentielle. J’ai lâché la tête contre le dossier et j’ai fermé les yeux.
Brusquement quelqu’un m’a cogné le bras. J’ai cru que c’était un élève qui passait sans faire
attention. Puis un second coup, plus fort, suivi par quelqu’un qui a tiré pour m’arracher le cordon d’un de
mes écouteurs. Pauvre écouteur, il pendouillait dans le vide tandis qu’un filet de musique continuait à se
déverser pour rien.
– Putain, qu’est-ce qui se passe ? ai-je hurlé en retirant l’écouteur gauche avant d’enrouler le cordon
autour de mon MP3.
J’ai jeté un œil à ma droite : Christy Bruter était là, souriant comme une idiote de l’autre côté du
couloir.
– Casse-toi ! lui ai-je lancé.
Sa copine, aussi moche, Ellen (même genre, amazone aux cheveux roux avec une tête de mec, et
membre de l’équipe de softball du lycée), rigolait, mais Christy, elle, me fixait avec ces espèces de
battements de paupières faussement innocents.
– De quoi tu causes, Sœur Funèbre ? T’es sûre que t’es pas en train d’halluciner ? Peut-être que
t’aurais des visions, genre rayon X ? Ou, on ne sait jamais, c’est peut-être un coup du diable.
– N’importe quoi.
J’ai remis mes écouteurs et je me suis calée au fond de mon siège en fermant les yeux. Jamais je ne
lui ferais le plaisir de me lancer dans la bagarre.
Le car tournait pour prendre la contre-allée du lycée quand j’ai senti un nouveau coup dans l’épaule,
mais cette fois-ci on m’a arraché mes écouteurs avec une telle violence que c’est tout mon MP3 qui a
valsé avant d’atterrir sous le siège devant moi. Je l’ai ramassé. La petite loupiote sur la gauche de
l’appareil était éteinte et l’écran était vide. J’ai appuyé pour éteindre avant de rallumer, une fois, deux
fois, mais… rien. Mon MP3 était mort.
– J’y crois pas ! C’est quoi ton problème ? l’ai-je défiée, montant la voix malgré moi.
Elle a lâché un nouveau petit hennissement, suivie par deux de ses copines assises derrière. Elle me
toisait toujours avec ce regard de faux jeton.
Les portes du car se sont ouvertes et tout le monde s’est levé. Un réflexe de gamins. On serait au
milieu de nulle part, il suffirait que les portes s’ouvrent pour que tout le monde se redresse. C’était une
des constantes de notre vie. Naître, mourir, se lever dès que les portes du car s’ouvrent.
J’étais à quelques centimètres de Christy qui sentait encore les pancakes au sirop d’érable.
– Alors, prête pour un nouvel enterrement ? m’a-t-elle balancé avec un affreux rictus. Pourquoi tu
laisses pas tomber Nick pour un bon cadavre bien froid ? Remarque, Nick, dans le genre, c’est cadavre
exquis, non ?
Je la regardais dans le blanc des yeux, déterminée à ne pas lâcher. Ça faisait des années qu’elle me
resservait les mêmes blagues. Sans se lasser. Persuadée qu’elle était hilarante. Un jour, Maman m’avait
conseillé de l’ignorer systématiquement en m’expliquant qu’elle finirait par abandonner. Mais il y a des