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Sa mère s’était levée de sa chaise et se tenait debout derrière, comme pour se cacher.
Le regard de Ginny allait et venait entre sa mère et moi, mais ni l’une ni l’autre ne bronchait.
– J’étais dans la chambre 416. Il vaut mieux être de ce côté parce que la réserve de somnifères est
près des 450.
C’est alors que j’ai entendu une voix plus ou moins familière, puis le frottement de chaussures de
mauvaise qualité se rapprochant dans le couloir.
– Alors, comment va notre petite Ginny ? a lancé le docteur Dentley, dont cette fois-ci j’ai identifié la
voix.
Il est entré dans la chambre et a pris son pouls, tout en bavassant : ils avaient eu une bonne séance ce
matin, et est-ce qu’elle se sentait agitée, et puis comment avait-elle dormi la nuit passée… avant de voir
que la mère et la fille avaient toutes les deux les yeux rivés sur moi.
– Valérie ! Qu’est-ce que tu fais ici ? s’est-il exclamé, interloqué.
– Bonjour, docteur Dentley. Je suis venue rendre visite à Ginny.
Aussitôt il s’est retourné en posant sa main dans mon dos, pile entre mes deux omoplates, et m’a
poussée doucement vers la porte.
– Compte tenu des circonstances, je ne pense pas que tu aies ta place ici. Mlle Baker a besoin de
temps pour…
– C’est bon, est intervenue Ginny. (Le docteur Dentley m’a lâchée et Ginny a hoché la tête.) Elle peut
rester, ça va.
Le docteur et sa mère l’ont regardée comme si elle était folle. À croire que le premier se demandait
s’il ne valait pas mieux l’envoyer chez les schizophrènes.
– Vraiment, a insisté Ginny.
– Bien, a lâché le docteur Dentley. À part ça, il faut que je fasse un bilan de…
– Je vais attendre dans le couloir.
Ginny a acquiescé d’un air las. Manifestement, elle n’avait aucune envie de se retrouver seule avec le
médecin.
Je suis sortie discrètement de la chambre, soulagée de savoir qu’à ses yeux j’étais bienvenue et
autorisée à rester. Je me suis assise dans le couloir en attendant, tandis que le murmure sourd du docteur
Dentley filtrait à travers la porte.
Peu après j’ai reconnu le pas de la mère de Ginny qui sortait elle aussi. Elle a fait une légère pause
en me voyant assise par terre. Elle s’est raclé la gorge, elle a baissé les yeux au sol et elle s’est éloignée.
Elle avait l’air épuisée. À bout, comme si elle avait passé plusieurs nuits blanches successives.
Au dernier moment elle s’est arrêtée et m’a fusillée du regard, avec un visage de marbre.
– Je ne l’ai pas vu venir, a-t-elle dit.
J’ai été incapable de répondre. Puis elle a ajouté, d’une voix absolument neutre :
– J’imagine qu’il faut que je te remercie pour avoir mis fin à la tuerie…
Soudain elle a tourné les talons. Elle a jeté un œil dans la salle des infirmières, donné un grand coup
dans les battants de porte au bout du couloir et disparu. Elle imaginait qu’il fallait que… sauf que non.
Pas vraiment.
Quand même. Ça m’a fait du bien – enfin, plus ou moins.
Peu après j’ai vu sortir le docteur Dentley, sifflant d’un air guilleret. Je me suis tout de suite levée.
– Le docteur Hieler m’a dit que tu allais beaucoup mieux, m’a dit Dentley. J’espère que tu prends
bien tes médicaments.
Et hop, il s’est éloigné sans façon en me lançant un simple « Elle a besoin de se reposer, ne reste pas
trop longtemps. »
J’ai pris une longue respiration et je suis rentrée dans la chambre. Ginny était en train de s’essuyer
les yeux avec un Kleenex. Je me suis glissée sur la chaise la plus éloignée de son lit.