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– Oh ! Oh !<br />

J’ai essayé de retirer ma main, sans grande conviction. J’avais be<strong>au</strong> être un peu dégoûtée qu’elle me<br />

tripote, je brûlais d’envie de savoir <strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>s « oh ! » sous-entendaient.<br />

– F<strong>au</strong>t que j’y aille.<br />

– Tu sais que je repère très bien les vrais artistes. Tu en es une, je parie, non ? Bien sûr que tu en es<br />

une ! Tu aimes le m<strong>au</strong>ve !<br />

Elle s’est retournée pour m’entraîner <strong>au</strong> pied de sa toile. Elle a pris sa palette et son pin<strong>ce</strong><strong>au</strong> en<br />

m’indiquant le tabouret :<br />

– Assieds-toi là.<br />

– Je suis désolée, il f<strong>au</strong>t que…<br />

– Si, si, assieds-toi. Mon tabouret n’aime pas qu’on refuse de s’y asseoir, surtout quand on y a été<br />

invité.<br />

Je me suis assise.<br />

– Vas-y, prends <strong>ce</strong> pin<strong>ce</strong><strong>au</strong> et peins.<br />

– Là ? Par-dessus votre peinture ?<br />

– Oui, vas-y, peins.<br />

Elle m’a pris la main pour l’approcher de la toile, insistant :<br />

– Allez !<br />

J’ai trempé le pin<strong>ce</strong><strong>au</strong> dans un pot de peinture noire et j’ai donné un grand coup à travers la toile,<br />

perpendiculaire <strong>au</strong>x lignes m<strong>au</strong>ves.<br />

– Humm… murmurait-elle. Ohhh…<br />

Je n’ai qu’une seule façon pour décrire <strong>ce</strong> que j’ai ressenti : c’était miraculeux. Ou apaisant. Ou les<br />

deux. Je ne sais pas. Tout <strong>ce</strong> que je sais, c’est que je ne pouvais plus m’arrêter, ni après <strong>ce</strong> premier coup<br />

de pin<strong>ce</strong><strong>au</strong>, ni après le suivant, ni même après avoir vu les taches qui ressemblaient à des arbres que<br />

j’avais dessinées sur un des côtés de la toile. J’étais dans un <strong>au</strong>tre monde, à tel point que j’étais dérangée<br />

par ses petits cris de stupeur, sa façon de chantonner ou de marmonner tout bas chaque fois que je<br />

trempais mon pin<strong>ce</strong><strong>au</strong> dans un nouve<strong>au</strong> pot (« Oui, c’est le bon moment, un peu d’ocre ! Ça ne lui fait pas<br />

plaisir, à mon petit bleuet ? »)<br />

Soudain j’ai été rappelée à l’ordre par une vibration <strong>au</strong> fond de ma poche.<br />

– M<strong>au</strong>dite technologie ! On ne pourrait pas revenir <strong>au</strong>x pigeons voyageurs, non ? Imagine, accrocher<br />

un joli mot à de belles plumes d’oise<strong>au</strong>. J’utiliserais volontiers des plumes de pigeon. Ou de paon. Oui,<br />

des plumes de paon ! Enfin, je doute que personne ait jamais utilisé un paon pour communiquer…<br />

– Où es-tu ? a résonné la voix inquiète de Maman. Je me faisais un sang d’encre – impossible de<br />

joindre le docteur Hieler, de te joindre… Nom d’un chien, Valérie, tu ne pouvais pas m’attendre là où je<br />

te l’avais demandé ? Tu ne peux pas savoir le mouron que je me suis fait.<br />

– J’arrive. (Je me suis redressée du tabouret en fourrant mon portable dans ma poche.) Pardon.<br />

C’était ma mère…<br />

La femme a balayé l’air de la main avant d’attraper un balai pour fon<strong>ce</strong>r sur un tas de sciure sous une<br />

table en bois à l’<strong>au</strong>tre bout de la piè<strong>ce</strong>.<br />

– F<strong>au</strong>t jamais avoir honte de sa mère, m’a-t-elle lancé. Avoir pitié d’elle, oui, mais honte, non. Les<br />

mères sont presque toujours fanas de la couleur m<strong>au</strong>ve. Je le sais, la mienne était tendan<strong>ce</strong> m<strong>au</strong>ve à fond.<br />

J’ai couru le long de l’allée par laquelle j’étais arrivée comme si je fuyais une forêt sombre et<br />

fantastique. J’étais à la porte quand j’ai entendu la voix de Béa flotter jusqu’à moi :<br />

– J’espère que j’<strong>au</strong>rai le plaisir de te revoir samedi prochain, Valérie.<br />

Je suis sortie en souriant. Peu après je me suis écroulée dans la voiture de Maman, à bout de souffle,<br />

excitée comme une pu<strong>ce</strong>, quand tout à coup j’ai réalisé que je n’avais jamais dit à Béa comment je<br />

m’appelais.

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