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Je n’avais pas le choix. Je me suis laissé embarquer.
– Ça me fait souffrir de temps en temps, expliquait Christy Bruter, assise sur le canapé entre son père
et sa mère.
Elle parlait en regardant exclusivement Jessica, mais je pouvais difficilement lui en vouloir. Moi
aussi j’avais du mal à la regarder droit dans les yeux.
– À vrai dire, a-t-elle repris, je ne dirais même plus que ça me fait vraiment souffrir. Disons que ça
m’a fait un effet bizarre. Honnêtement, ce qui me manque le plus, c’est de ne plus pouvoir jouer au foot.
Une université m’avait déjà proposé une bourse pour que je fasse partie de son équipe. En plus mon père
devait m’entraîner, mais aujourd’hui…
– Aujourd’hui, il pense qu’il a eu la chance d’avoir pu t’entraîner pendant des années, est intervenu
son père en serrant tendrement la cuisse de sa fille. Et aujourd’hui, il pense également qu’il a de la
chance d’avoir une fille en vie, qui peut aller à l’université.
La mère de Christy a marmonné un vague « amen » en se tamponnant les yeux du bout des doigts. Elle
était blottie contre sa fille, tapotant gentiment son genou ou hochant la tête pour approuver ce qu’elle
disait, tout en affichant un sourire un peu contraint.
– Est-ce que tu… ai-je bafouillé avant de m’interrompre, ne sachant plus très bien ce que je voulais
dire. Est-ce que tu m’en veux ? Voilà ce que je voulais demander à Christy. Est-ce que tu me hais
d’autant plus ? Tu aurais préféré que Nick me tue ? Est-ce que tu fais des cauchemars dans lesquels
j’apparais ?
M. Bruter a dû comprendre mon malaise parce qu’il s’est penché vers moi avant de répondre :
– Nous avons beaucoup réfléchi au sens du pardon depuis le drame. Et sache que nous n’avons
aucune envie que quiconque souffre à cause de ce qui s’est passé. Quiconque.
Christy avait les yeux rivés sur ses genoux. Quant à Jessica, j’ai senti qu’elle se rapprochait de moi.
– Certains sont des héros morts pour leur lycée, a repris M. Bruter. D’autres des héros qui ont failli
mourir pour leur lycée. Et puis il y a ceux qui ont mis fin à la tuerie. Qui ont appelé le numéro d’urgence
en voyant Christy allongée par terre. Qui ont posé la main sur son ventre pour l’empêcher de saigner. Des
héros qui… qui ont perdu ceux qu’ils aimaient. Nous sommes reconnaissants envers tous les héros de
Garvin.
Jessica a posé la main sur mon bras. Pour la première fois, je me sentais entourée. Je me sentais –
mon Dieu, comment avais-je pu en arriver là ? – fière.
Le soir même, quand je suis rentrée à la maison, épuisée, je suis tombée sur Maman et Mel qui
regardaient la télé sur le canapé.
– Il se fait un peu tard, a murmuré Maman en enlaçant tendrement Mel.
Elle avait les deux jambes de côté sur le canapé. Elle avait l’air à l’aise, détendue, comme jamais je
ne l’avais vue, même avec Papa.
– Je commençais à m’inquiéter, ma chérie.
– Pardon. Il faut absolument que je finisse mon projet avant la remise des diplômes.
– Mais tu l’as fini maintenant ? m’a demandé Mel.
À ma grande surprise, je n’ai pas été gênée qu’il me pose la question. Finalement, c’était un type
plutôt bien. Et grâce à lui, Maman était de plus en plus souriante, alors je dirais même plus, un type
carrément sympa.
– Disons que j’ai fini le travail préliminaire. J’ai interviewé tous les gens dont j’avais besoin.
Il a acquiescé tranquillement.
– Je t’ai réservé une part du dîner, a ajouté Maman. Tu verras, dans le four.
– C’est gentil, mais Jessica et moi, on a pas mal grignoté. Je crois que je vais monter me coucher tout
de suite.
Je me suis penchée pour embrasser Maman, un geste que je n’avais pas fait depuis des années. À tel