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la douleur.<br />

Chaque soir, quand j’allumais la télé fixée en fa<strong>ce</strong> de mon lit, je tombais sur des images de mon<br />

lycée, des vues aériennes qui lui donnaient un air insolite, une allure <strong>of</strong>ficielle, intimidante, loin des trois<br />

années que j’y avais passées. J’avais la sensation étrange de regarder un film de fiction. S<strong>au</strong>f que la<br />

n<strong>au</strong>sée <strong>au</strong> fond de mon ventre était là pour me rappeler que c’était loin d’être une fiction. C’était la réalité<br />

et j’étais <strong>au</strong> cœur de <strong>ce</strong>tte réalité.<br />

Les deux premiers jours à l’hôpital, Maman était tout le temps assise à côté de mon lit. À <strong>ce</strong>rtains<br />

moments elle était en larmes, sanglotant dou<strong>ce</strong>ment dans un mouchoir en papier et secouant la tête en<br />

m’appelant son bébé. Deux secondes après elle avait l’air furieuse, lèvres pincées et regard accusateur,<br />

une inconnue déclarant qu’elle ne comprenait pas comment elle avait pu donner naissan<strong>ce</strong> à un tel<br />

monstre.<br />

Pour être honnête, je n’avais pas grand-chose à dire, ni à elle ni à personne. Depuis que Frankie<br />

m’avait annoncé la mort de Nick, je me recroquevillais en chien de fusil, tournée vers le mur, calée sous<br />

mes draps et mes couvertures, les genoux contre la poitrine en dépit de mes pansements, des élan<strong>ce</strong>ments<br />

dans ma jambe, et de tous les tubes et les fils. Malheureusement, quand mon corps a arrêté de se<br />

recroqueviller, mon âme, elle, a continué. En boule, jusqu’à <strong>ce</strong> qu’elle devienne une toute petite chose<br />

rabougrie, et repliée sur elle-même.<br />

Je n’avais pas pris une grande décision comme quoi je ne dirais plus un mot. D’<strong>au</strong>tant que chaque<br />

fois que j’ouvrais la bouche j’avais envie de hurler de terreur. Tout <strong>ce</strong> que je voyais dans mon esprit<br />

c’était Nick, gisant, mort, quelque part. Je voulais aller à son enterrement. Ou <strong>au</strong> moins sur sa tombe.<br />

Mais surtout je brûlais d’envie de l’embrasser et de lui dire que je lui pardonnais d’avoir tiré sur moi.<br />

Hurler <strong>au</strong>ssi pour M. Kline. Pour Abby Dempsey et pour tous <strong>ce</strong>ux qui avaient été massacrés. Même<br />

pour Christy Bruter. Pour Maman. Pour Frankie. Et… pour moi. Toutes <strong>ce</strong>s émotions se bousculaient sans<br />

jamais s’accorder, comme dans un puzzle, quand il ne vous reste que deux piè<strong>ce</strong>s que vous êtes à deux<br />

doigts de presque – presque et c’est ça qui vous rend fou – emboîter. Vous pourriez for<strong>ce</strong>r pour que ça<br />

marche, elles ont be<strong>au</strong> finir par coller, ça ne va pas, il y a encore un truc qui cloche. Voilà dans quel état<br />

était mon <strong>ce</strong>rve<strong>au</strong>. Épuisé à for<strong>ce</strong> d’essayer d’emboîter des vieilles piè<strong>ce</strong>s de puzzle.<br />

J’étais à l’hôpital depuis trois jours quand la porte s’est brusquement ouverte. J’observais le plafond<br />

en pensant à Nick et <strong>au</strong> jour où on jouait <strong>au</strong> pistolet laser chez Nitez. C’est moi qui avais gagné et <strong>au</strong><br />

début Nick faisait la tête, mais après on est allés à une fête chez Mason et il n’a pas arrêté de dire à tout<br />

le monde que je tirais super bien. Il était fier de moi et je me sentais bien. On avait passé la soirée main<br />

dans la main en amoureux, et c’était la plus belle soirée de ma vie.<br />

La porte s’est ouverte et j’ai eu le réflexe de fermer les yeux pour faire semblant de dormir, pour que<br />

l’intrus se retire et que je continue à penser à <strong>ce</strong>tte soirée. Je vous promets, j’avais la main toute ch<strong>au</strong>de,<br />

comme si Nick était en train de la serrer dans la sienne.<br />

J’ai entendu quelqu’un avan<strong>ce</strong>r discrètement jusqu’<strong>au</strong> bord de mon lit et s’arrêter. Aucun fil ni <strong>au</strong>cune<br />

perfusion n’ont bougé. Aucun tiroir ni placard n’ont été ouverts comme c’était le cas dès qu’une<br />

infirmière entrait. Je n’ai pas non plus entendu Maman renifler. Pas reconnu l’e<strong>au</strong> de Cologne de Frankie.<br />

Juste une présen<strong>ce</strong> dans la piè<strong>ce</strong>. J’ai entrouvert un œil…<br />

Un type avec un costume marron était debout <strong>au</strong> pied de mon lit. Il devait avoir une quarantaine<br />

d’années, il était complètement ch<strong>au</strong>ve. Il mâchait du chewing-gum et il avait l’air tendu, sans l’ombre<br />

d’un sourire.<br />

Cette fois-ci j’ai ouvert les yeux mais sans me redresser. Et sans un mot. En le fixant, le cœur battant.<br />

– Comment ça va, ta jambe, Valérie ? Je peux t’appeler Valérie ?<br />

Il a posé sa main sur ma jambe. J’ai failli hurler. Et si c’était un type genre film d’horreur, qui voulait<br />

me violer et me tuer sur mon lit d’hôpital ? Ou pire – la pensée m’a traversé l’esprit quelques secondes –,<br />

si c’était <strong>ce</strong> que je méritais. Il y avait sûrement plein de gens qui seraient ravis d’apprendre qu’il m’était

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