Télécharger ce livre au format PDF - Index of

– Bon, d’accord.
– Sauf que je ne te la poserai pas. Alors ma réponse c’est : marrant. J’ai envie de me marrer.
– Moi aussi.
Il a posé une main sur mon genou et je me suis penchée contre lui en fermant les yeux.
– J’en ai rêvé toute la journée, ai-je avoué en soupirant. Mes parents ont été pires que jamais hier
soir, j’ai cru que j’allais devenir dingue.
– Ouais, c’est super.
Peu après, on est arrivés sur le parking du cinéma. Il y avait un monde hallucinant, la foule débordait
même sur les trottoirs et sur la pelouse. La plupart étaient des gens de notre âge, et de notre lycée. Nick a
retiré sa main de mon genou pour tourner le volant à la recherche d’une place.
À ce moment-là j’ai vu Chris Summers approcher avec un énorme soda à la main. Il était avec ses
amis en train de plaisanter, pour changer. Tout à coup ils ont coupé en passant pile devant nous, et Nick a
été obligé de freiner brusquement.
Chris s’est penché sur le pare-brise et il a éclaté de rire.
– Pas mal, la caisse, espèce de mutant ! il a crié en renversant son gobelet vers le pare-brise.
Le couvercle a lâché, et le liquide et les glaçons se sont répandus sur la vitre en laissant de longues
traces mousseuses jusqu’au capot.
– Abrutis ! j’ai hurlé en bondissant, mais trop tard, Chris et sa bande entraient déjà dans le cinéma.
Plusieurs ados sur la pelouse rigolaient en regardant le désastre.
– Quel con ! Tu te prends pour le mec le plus cool alors que t’es qu’un pauvre type !
Je me suis défoulée en l’injuriant et en fusillant du regard tous ces imbéciles qui ricanaient, y compris
Jessica Campbell, debout au milieu de sa bande de greluches qui gloussaient.
– J’y crois pas ! ai-je fini par lâcher en me calant dans mon siège. Je me demande ce qu’il a dans le
crâne !
Nick était assis, muet, immobile, les deux mains posées sur le volant pendant que la boisson
continuait de dégouliner sur le pare-brise. Son visage, souriant quelques secondes plus tôt, était
littéralement décomposé. Défait. Il avait des taches rouges sur les joues et la mâchoire qui tremblait.
L’humiliation et la déception irradiaient presque physiquement de son être. Il était en train de s’écrouler
sous mes yeux, vaincu. J’ai eu peur. D’habitude il se mettait en colère et cherchait à se défendre. Mais là,
il était au bord des larmes.
– Nick… j’ai murmuré en lui caressant le coude. Laisse tomber. Summers est un pauvre mec.
Rien. Ni un mot ni un geste alors que les voitures derrière nous commençaient à klaxonner.
J’entendais sa voix résonner en moi, répétant en boucle : On a le droit de gagner, nous aussi. Mais
pas ce soir. Ce soir on est encore du côté des perdants.
– En fait… j’ai poursuivi, je n’ai plus tellement envie d’aller au cinéma. On n’a qu’à s’acheter un
truc à grignoter et on le rapportera chez toi. On pourrait regarder la télé.
Il a déclenché les essuie-glaces qui ont fait tomber le gobelet et dégagé le liquide comme si de rien
n’était.
– Je suis désolé.
Il avait la voix cassée, à peine audible.
Il est passé en première et il est sorti du parking lentement, très lentement, comme un chien qu’on
viendrait de fouetter, mortifié.
Mais j’étais assise dans mon lit d’hôpital et je ne pense pas que c’est ce que l’inspecteur avait envie
d’entendre. Il ne voulait sûrement rien savoir sur Nick. En revanche il voulait tout savoir sur l’auteur du
crime.
– Je ne sais pas, ai-je répondu.
– Tu veux que je te mette sur la piste ?