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première, à l’hôpital, avant que je puisse parler à quiconque. La seconde, à la maison, mais j’avais<br />

demandé à Frankie de lui dire que je dormais. Après, elle n’a jamais vraiment essayé de reprendre<br />

contact, ni moi de mon côté. Peut-être qu’une partie de moi jugeait que je ne méritais plus d’avoir d’amis.<br />

D’une <strong>ce</strong>rtaine façon j’étais désolée pour elle. J’imaginais déjà l’expression sur son visage – sa<br />

volonté de revenir là où nous en étions avant la tuerie, son sentiment de culpabilité par<strong>ce</strong> qu’elle gardait<br />

ses distan<strong>ce</strong>s par rapport à moi –, en même temps je savais que s’afficher avec moi n’était pas du<br />

meilleur effet vis-à-vis des <strong>au</strong>tres. Être ami avec moi était désormais un sacré risque à prendre pour<br />

quiconque <strong>au</strong> lycée de Garvin – une sorte de suicide social. Or Sta<strong>ce</strong>y était loin d’être assez courageuse<br />

pour prendre un tel risque.<br />

– T’as encore mal à la jambe ? m’a-t-elle demandé.<br />

– De temps en temps. Remarque, comme ça je suis dis-pensée de gym. Mais je risque d’arriver<br />

souvent en retard en cours.<br />

– T’as été sur la tombe de Nick ? m’a balancé Du<strong>ce</strong>. T’as été sur une des tombes <strong>au</strong> moins ?<br />

– Fiche-lui la paix, a répondu Sta<strong>ce</strong>y en lui donnant un coup de coude. C’est son jour de rentrée.<br />

– Ouais, allez, a grommelé David. Je suis content que t’ailles mieux, Val. T’as qui en maths ?<br />

– Et alors ? a insisté Du<strong>ce</strong>. Elle marche, que je sache. Alors pourquoi elle n’est pas allée sur une<br />

seule tombe ? Je peux vous dire que si c’était moi qui avais rédigé <strong>ce</strong>tte liste de personnes à abattre,<br />

j’<strong>au</strong>rais <strong>au</strong> moins eu la dé<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> d’aller me recueillir deux minutes sur leur tombe.<br />

– Je n’ai jamais voulu que quelqu’un meure. (Du<strong>ce</strong> a levé un sourcil dubitatif.) Je te ferais remarquer<br />

que Nick était <strong>au</strong>ssi ton meilleur copain, ai-je ajouté.<br />

Un silen<strong>ce</strong> pesant s’est abattu entre nous deux, quand j’ai vu qu’une ribambelle de petits bad<strong>au</strong>ds<br />

tournicotaient <strong>au</strong>tour de nous. Ils n’étaient pas intrigués par notre prise de bec. Ils étaient intrigués par<br />

moi. Ils tournoyaient lentement, m’observant de tous les côtés et chuchotant sous cape.<br />

Jusqu’<strong>au</strong> moment où Sta<strong>ce</strong>y a remarqué leur manège et s’est reculée avant de lan<strong>ce</strong>r :<br />

– Allez, je file en cours. Trop sympa de te revoir, Val.<br />

Elle me devançait déjà, avec David, Mason et les <strong>au</strong>tres à sa traîne.<br />

– Ouais, c’était super, m’a balancé Du<strong>ce</strong> à mi-voix en me frôlant l’ép<strong>au</strong>le.<br />

Je suis restée plantée sur le trottoir, abandonnée <strong>au</strong> milieu d’une marée de gamins m’en<strong>ce</strong>rclant et me<br />

poussant d’avant en arrière, bloquée, incapable de trouver une brèche pour plonger dans la mer. Il valait<br />

peut-être mieux que je reste sur pla<strong>ce</strong> jusqu’<strong>au</strong> retour de Maman à trois heures moins dix…<br />

Soudain j’ai senti une main sur mon ép<strong>au</strong>le.<br />

– Et si tu me suivais ?<br />

Je me suis retournée et je me suis retrouvée nez à nez avec Mme Tate, conseillère d’orientation du<br />

lycée. Ni une ni deux, elle m’a prise par les ép<strong>au</strong>les et m’a entraînée avec elle, et nous avons fendu les<br />

vagues d’élèves en laissant derrière nous un long sillage de rumeurs…<br />

– Ça fait plaisir de te voir ici ! Je suis sûre que tu appréhendais <strong>ce</strong> moment.<br />

– Un peu, oui.<br />

Je pouvais difficilement en dire plus, car elle m’entraînait avec une telle for<strong>ce</strong> que j’étais obligée de<br />

me con<strong>ce</strong>ntrer pour ne pas tomber. Nous sommes entrées dans le hall, si vite que la crise de panique que<br />

je redoutais était étouffée d’avan<strong>ce</strong>, et d’une <strong>ce</strong>rtaine façon j’ai eu l’impression de me faire avoir.<br />

Le hall était plein à craquer. Un <strong>of</strong>ficier de poli<strong>ce</strong> était posté à l’entrée et passait une sorte de<br />

baguette <strong>au</strong>-dessus des sacs à dos et des vestes des élèves. Mme Tate a fait signe à un des élèves avant de<br />

m’escorter sous les yeux du policier sans s’arrêter.<br />

Les couloirs me semblaient plus vides que d’habitude, comme s’il manquait des élèves. Sinon, rien<br />

n’avait changé. Tout le monde bavardait, criait ; les ch<strong>au</strong>ssures glissaient sur le carrelage brillant ; contre<br />

les murs résonnaient les schlack ! schlack ! des casiers qu’on claquait un peu plus loin.<br />

Nous avons tourné <strong>au</strong> fond du côté du Foyer. Cette fois-ci j’ai senti la panique monter à vitesse grand

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