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J’ai foncé dans le cabinet du docteur Hieler pour ma dernière séance, électrifiée.
– Je crois que je commence enfin à comprendre qui je suis ! ai-je annoncé, tout sourire, en
m’installant dans le canapé et en ouvrant une canette de Coca.
– Qui tu es ?
Il s’est installé dans son fauteuil avant de balancer une jambe au-dessus de l’accoudoir, comme
d’habitude.
– Bon, d’accord, ça va peut-être vous sembler débile, mais j’ai l’impression que le fait d’avoir été
parler à tous ces gens m’a permis de me retrouver.
– Mais qui es-tu, alors ? Ou plus exactement, qui te souviens-tu avoir été ?
– Bon… ai-je répondu en me levant et en arpentant son bureau. D’abord, quand j’étais petite,
j’adorais l’école. J’adorais être entourée d’amis, passer du temps avec eux, aller à des matchs de basket
avec eux, ce genre de trucs. J’étais vive d’esprit, motivée. Par exemple, j’ai toujours voulu aller à la fac.
– C’est bien. Je ne peux que t’encourager dans ce sens-là.
Je me suis rassise sur le canapé, surexcitée et pleine d’énergie.
– Mais la liste de la haine, je ne peux pas le nier, elle a vraiment existé. J’étais trop en colère. C’était
pas pour frimer face à Nick. Bien sûr, je n’en voulais pas à la terre entière, comme lui. D’ailleurs, je
crois que je n’ai jamais réalisé à quel point il était en colère. Parce que moi aussi, je l’étais. Les
humiliations, les moqueries, les surnoms dégueulasses… mes parents, ma vie… tout ça se mêlait et me
paraissait vide de sens, et ça me rendait folle. Peut-être que j’avais un côté suicidaire, même, mais je ne
m’en rendais pas compte.
– C’est possible. Tu avais de bonnes raisons d’être en colère, cela dit.
– Vous voyez ? C’était pas du pipeau. Pas complètement.
Je me suis retournée pour regarder par la fenêtre. Les voitures garées sur le parking commençaient à
disparaître sous la brume.
– En tout cas, je peux vous dire que c’était pas du chiqué de ma part. (Je regardais les gouttelettes se
former sur le capot des voitures.) Ça au moins, on ne peut pas me le reprocher.
– Et faire un super-salto sur les deux mains ? Chiche ?
– Non, toujours pas.
– Tu es sûre ? Moi, oui.
– C’est pas vrai. Menteur !
– Si, je suis très bon, même. Et très fier de toi, Valérie. Honnêtement, là, je ne mens pas.
Comme toujours à un moment ou un autre au cours de ses séances, on s’est déplacés de part et d’autre
de l’échiquier. Et comme toujours, il m’a battue à plate couture.