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s’est tout de suite intégré ; il s’entendait surtout avec Duce. Évidemment, dès le départ, lui et moi, on
avait un rapport très spécial.
Le matin on se retrouvait devant nos casiers, et le soir on quittait le lycée ensemble. De temps en
temps on allait rejoindre Stacey, Duce et Mason sur les gradins.
Puis un jour, j’avais eu une journée épouvantable et j’en voulais à mort à tous les gens que j’estimais
responsables. C’est là que j’ai eu l’idée d’écrire leur nom dans un carnet, un carnet qui aurait fait office
de poupée vaudou de papier, pour me soulager. Le fait de noter leur nom dans ce carnet serait la preuve
que c’étaient des super-nuls et que, moi, j’étais une victime.
J’ai donc ouvert mon carnet rouge adoré, j’ai numéroté les lignes de plusieurs pages et j’ai noté le
nom de soi-disant copains, de gens célèbres, puis des idées, et tout ce que je détestais dans ma vie. À
peine arrivée à la fin du troisième cours, j’avais déjà rempli une demi-page, sur laquelle il y avait aussi
bien Christy Bruter que L’algèbre – depuis quand on additionne des chiffres et des lettres, j’aimerais
bien savoir !!!, ou encore La laque. Et encore, je trouvais que c’était rien, du coup j’ai embarqué mon
carnet en cours d’algèbre et j’étais plongée dedans quand Nick est entré.
– Salut ! Je ne t’ai pas vue devant les casiers.
– Je n’y étais pas, ai-je répondu sans lever les yeux.
J’étais en train d’écrire Les problèmes de couple de Papa et Maman. C’était important. J’ai recopié
quatre fois la phrase.
– Ah ! a-t-il lâché. (Mais je sentais qu’il regardait par--dessus mon épaule, c’était plus fort que lui.)
C’est quoi ?
– Ma liste de la haine.
J’avais répondu ça sans réfléchir, et à la fin du cours, il est arrivé derrière moi et il m’a dit avec son
air de ne pas y toucher :
– Si j’étais toi, j’ajouterais les devoirs de la journée à la liste. Ça fait trop ch…
On a souri en même temps. Il avait tout compris, et ça m’a fait un bien fou de sentir que je n’étais pas
complètement seule.
– T’as raison. Je vais les ajouter.
C’est comme ça qu’elle a démarré, cette liste de la haine, aujourd’hui redoutée. Au début, c’était pour
rire. Une façon d’évacuer ma frustration. Sauf que c’est devenu autre chose, qui m’a échappé.
Tous les jours, en cours d’algèbre, on sortait mon carnet et on notait le nom des gens qu’on détestait ;
on était assis l’un à côté de l’autre au fond de la classe et on se plaignait de Christy Bruter et de
Mme Harfelz. De tous ceux qui nous tapaient sur les nerfs. Et surtout de ceux qui nous humiliaient, nous
ou d’autres.
Je crois qu’à un moment on a pensé publier cette liste, histoire de montrer à tout le monde à quel
point certains étaient vaches. Rirait bien qui rirait le dernier, surtout ces cheerleaders qui m’appelaient
Sœur Funèbre et ces crétins d’athlètes qui bousculaient Nick dans les couloirs dès que personne ne les
surveillait. Ces « adolescents modèles » dont nul ne voulait croire qu’ils étaient largement aussi
malveillants que les adolescents dits « mauvais ». Plusieurs fois, on avait même évoqué l’idée que le
monde serait plus facile à vivre si chacun avait sa liste, autrement dit si chacun était considéré comme
responsable de ses gestes.
La liste était mon idée. Mon invention. C’est moi qui l’ai commencée et c’est moi qui l’ai poursuivie.
Elle est à l’origine de l’amitié entre Nick et moi ; c’est elle qui nous soudait. Grâce à elle, ni lui ni moi,
on ne se sentait plus jamais seul.
La première fois que je suis allée chez Nick, je dirais que c’est le jour où je suis officiellement
tombée amoureuse de lui. On est entrés par la cuisine, qui était sale, vraiment crasseuse. Au loin on
entendait la télé, avec quelqu’un qui toussait d’une toux de fumeur. Nick a entrouvert une porte en me
faisant signe de descendre derrière lui par un étroit escalier en bois qui menait au sous-sol, et on est