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[Extrait du Sun-Tribune du comté de Garvin, 3 mai 2008, Angela Dash, envoyée spéciale]
Abby Dempsey, dix-sept ans. Vice-présidente du Bureau des élèves, Abby Dempsey était chargée de
la vente de beignets destinée à lever des fonds pour le Bureau. Elle a reçu deux balles en pleine gorge.
La police pense que c’étaient deux balles perdues visant un élève situé à un mètre environ sur sa
gauche. Les parents de la jeune fille, « plongés dans le chagrin depuis la disparition de leur unique
enfant », d’après des proches, se refusent à tout commentaire.
Maman m’avait laissé un message sur mon portable pour me prévenir qu’elle avait une réunion et
qu’exceptionnellement elle ne pourrait pas venir me chercher. Au début, j’étais indignée : moi, prendre le
car après ce qui s’était passé ? M’asseoir au milieu de la petite bande de Christy Bruter et tout se
déroulerait sans soucis ? Comment ose-t-elle ? je ne cessais de me répéter. Comment ose-t-elle me jeter
dans la gueule du loup comme ça ?
Inutile de vous dire qu’il était hors de question que je rentre en bus. Après tout, j’habitais à une
dizaine de kilomètres à peine et j’avais fait le trajet à pied plus d’une fois dans ma vie. Sauf que c’était à
l’époque où j’avais les deux jambes valides.
Je pouvais marcher un ou deux kilomètres sans problème, soit la distance jusqu’au bureau de Papa.
Certes, l’idée de me faire raccompagner par Papa ne me réjouissait pas. Pas plus qu’elle ne le réjouirait
de son côté. Mais bon, mieux valait ça plutôt que de risquer un drame dans le car.
Il était une fois, il y a longtemps, où j’étais un peu gênée parce que je trouvais que le bureau de mon
père n’était pas assez imposant. Soi-disant c’était un avocat en vue, or il était là, dans ce bâtiment en
briques minable et dans un « bureau satellite », ce qui, si vous voulez mon avis, était une façon polie de
dire « un trou au fin fond de la banlieue ». Sauf que ce jour-là, j’ai béni les dieux qu’il travaille dans un
trou au fond de la banlieue, à deux pas de mon lycée. Surtout que le soleil d’octobre avait du mal à
réchauffer l’air. À peine avais-je dépassé deux ou trois pâtés de maisons que je regrettais déjà de ne pas
avoir pris le car.
J’étais allée dans son bureau une ou deux fois, et encore ; on ne peut pas dire qu’il avait installé un
beau paillasson avec un grand « bienvenue » pour accueillir sa famille. Il ne voulait pas qu’on soit
confronté à ce qu’il appelait les « voyous » qu’il représentait – c’est ce qu’il prétendait. D’après moi,
c’est parce que son bureau était son seul refuge pour échapper à la famille.
Le temps d’arriver et d’ouvrir les grandes portes en verre, j’avais la jambe complètement ankylosée
et je boitais comme un monstre de film d’horreur. Mais j’étais contente d’y être arrivée.
À l’intérieur il faisait bon, et j’en ai profité pour frotter doucement sur ma cuisse avant de rejoindre
les bureaux proprement dits. Une odeur de pop-corn au micro-ondes flottait dans l’air, me chatouillant