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Les yeux jaunes des crocodiles

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Henriette Grobz, raide comme un parapluie, une large<br />

galette en guise de chapeau posée de travers sur la tête,<br />

dévisageait Josiane qui s’aperçut, en effet, que le téléphone<br />

sonnait. Elle attendit un instant et, quand il s’arrêta, sortit un<br />

Kleenex usagé de sa poche et se moucha.<br />

— C’est ma mère, renifla Josiane. Elle est morte…<br />

— C’est triste, c’est sûr, mais… On perd tous ses parents un<br />

jour ou l’autre, il faut s’y préparer.<br />

— Eh bien ! Disons que je n’étais pas préparée…<br />

— Vous n’êtes plus une petite fille. Reprenez-vous. Si tous les<br />

employés transportent leurs problèmes personnels dans<br />

l’entreprise, où va la France ?<br />

<strong>Les</strong> états d’âme au bureau, c’est un luxe de patron, pas<br />

d’employé, pensait Henriette Grobz. Elle n’a qu’à retenir ses<br />

larmes jusqu’à ce soir et se vider chez elle ! Elle n’avait jamais<br />

aimé Josiane. Elle n’appréciait pas son insolence, sa manière<br />

d’onduler quand elle marchait, souple, bien en chair, féline, ses<br />

beaux cheveux blonds, ses <strong>yeux</strong>. Ah ! Ses <strong>yeux</strong> ! Excitants,<br />

audacieux, vifs et parfois liqui<strong>des</strong>, langoureux. Elle avait<br />

souvent demandé à Chef de la renvoyer, mais il s’y refusait.<br />

— Mon mari est là ? demanda-t-elle à Josiane qui, le regard<br />

buté, s’était redressée et faisait semblant de suivre le vol d’une<br />

mouche pour ne pas avoir à regarder en face cette femme qu’elle<br />

abhorrait.<br />

— Il est dans les étages, mais il va revenir. Vous n’avez qu’à<br />

vous installer dans son bureau, il ne devrait pas tarder… Vous<br />

connaissez le chemin !<br />

— Un peu de courtoisie, mon petit, je ne vous permets pas de<br />

me parler comme ça…, répliqua Henriette Grobz sur un ton de<br />

domination blessante.<br />

Josiane riposta comme un serpent à sonnette :<br />

— Vous n’avez pas à m’appeler mon petit. Je suis Josiane<br />

Lambert et pas votre petite… Heureusement, d’ailleurs ! J’en<br />

crèverais.<br />

Je n’aime pas ses <strong>yeux</strong>, pensa Josiane. Ses petits <strong>yeux</strong> froids,<br />

durs, avares, pleins de soupçons et de calculs. Je n’aime pas ses<br />

lèvres minces, sèches, ses commissures blanchâtres. Elle a du<br />

plâtre dans la bouche, cette femme ! Je ne supporte pas qu’elle<br />

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