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Les yeux jaunes des crocodiles

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ureau. J’usurpais mon salaire, qu’elle a dit ! Je l’aurais<br />

massacrée…<br />

Marcel écoutait, calé contre le muret. Il se laissait envahir<br />

par la musique <strong>des</strong> mots de Josiane et, peu à peu, la tendresse<br />

montait en lui. Sa colère retombait comme la voile d’un<br />

parachute qui se pose à terre. Consciente qu’il s’attendrissait,<br />

Josiane délayait son récit, l’agrandissait, y accrochait <strong>des</strong><br />

larmes, <strong>des</strong> soupirs, <strong>des</strong> ex-voto, du mauve, du marron, du noir<br />

et du rose. Tout en chuchotant son drame, elle accompagnait le<br />

lent affaissement du corps de Marcel contre le sien. Il se tenait<br />

encore, il enfermait ses genoux entre ses mains pour ne pas se<br />

laisser choir contre elle, mais il tanguait doucement et se<br />

rapprochait.<br />

— Ça a été dur de perdre ma mère, tu sais. C’était pas une<br />

sainte, loin de là, tu le savais ! Mais c’était ma mère… Je croyais<br />

que je serais forte, que j’encaisserais sans rien dire et puis vlan !<br />

ça m’a fait comme un crochet dans le buffet, j’en ai perdu le<br />

souffle…<br />

Elle lui prit la main et la posa entre ses seins, là où ça lui<br />

avait fait tellement mal. La main de Marcel devint chaude dans<br />

la sienne et retrouva sa place d’antan dans le sillon doux et<br />

rassurant.<br />

— Je me suis retrouvée comme à deux ans et demi… Quand<br />

tu lèves la tête, confiante, vers l’adulte qui devrait te protéger et<br />

que tu te prends une beigne, un aller-retour dont tu ne<br />

reviendras plus… On ne s’en remet jamais de ces blessures-là,<br />

jamais. On fait la fière, on avance le menton mais on a le cœur<br />

qui bat le tambour…<br />

Sa voix était devenue un filet, un chuchotis de confidences<br />

douces qui remplissait Marcel Grobz d’une ouate vaporeuse.<br />

Choupette, ma Choupette, que c’est bon de t’entendre à<br />

nouveau, ma petite fille, ma beauté, mon amazone dorée…<br />

parle-moi, parle-moi encore, quand tu gazouilles, que tu<br />

tortilles les mots comme le crochet avec la laine, je ressuscite, la<br />

vie est aride sans toi, elle ne ruisselle pas, elle ne vaut plus qu’on<br />

se lève le matin pour mettre le nez à la fenêtre.<br />

Henriette Grobz était montée dans le bureau de Marcel et, ne<br />

trouvant ni Josiane ni son mari, elle était partie à la recherche<br />

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