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Les yeux jaunes des crocodiles

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de son film, Gabor Minar n’était pas venu. Il aurait dû parler,<br />

répondre aux questions <strong>des</strong> spectateurs. Quand les lumières<br />

s’étaient rallumées, un organisateur avait annoncé qu’il ne<br />

viendrait pas. Un oh ! de déception avait soulevé l’assistance. Le<br />

lendemain, on avait appris qu’il avait passé la nuit à faire la fête<br />

dans un club de jazz à Harlem. On ne peut jamais compter sur<br />

lui, avait dit un producteur, dépité. On est obligé de se plier à<br />

ses caprices. C’est peut-être pour cela qu’il fait <strong>des</strong> films si<br />

puissants, avait fait remarquer un autre. C’était au petitdéjeuner.<br />

On ne parlait que de l’absence de Gabor Minar.<br />

L’après-midi, ils avaient vu d’autres films. Assise à côté de lui,<br />

Iris s’agitait dans son fauteuil, puis se figeait quand un<br />

spectateur tardif venait s’asseoir devant eux. Il sentait son corps<br />

raidi dans l’espoir d’apercevoir Gabor. Il n’osait pas poser sa<br />

main sur la sienne de peur qu’elle ne se tende comme un<br />

ressort. Le soir, à nouveau, elle s’était préparée. Ballet de robes,<br />

mines perplexes, ballet de chaussures, mines inquiètes, ballet de<br />

bijoux, mines contrariées. C’était le dîner de gala. Il allait venir.<br />

Il était l’invité d’honneur. Elle avait choisi une longue robe du<br />

soir en taffetas parme qui soulignait ses <strong>yeux</strong>, son long cou, la<br />

grâce de son port. Philippe s’était dit, en la regardant, c’est une<br />

longue liane avec deux grands <strong>yeux</strong> bleu profond. Elle<br />

chantonnait en quittant la chambre et courut vers l’ascenseur en<br />

faisant voler sa robe.<br />

Ils étaient assis à la table d’honneur. À la table de Gabor<br />

Minar. Quand il était entré, la salle entière s’était levée et l’avait<br />

applaudi. Tous les ressentiments s’étaient envolés. Soudain on<br />

ne parlait plus que de son film. Magnifique, sublime, envoûtant,<br />

étrange ! Quelle force ! Quelle mise en scène ! Quelle énergie !<br />

<strong>Les</strong> bouches <strong>des</strong> femmes se tendaient vers lui en une offrande<br />

suppliante. <strong>Les</strong> hommes applaudissaient les bras levés comme<br />

pour se grandir face à ce génie. Il était apparu, flanqué de ses<br />

acteurs. Géant débraillé, barbu, vêtu d’un vieux jean troué, d’un<br />

blouson de cuir, de bottes de motocycliste, son éternel bonnet<br />

de laine vissé sur le crâne. Il s’était incliné avec un sourire, avait<br />

ôté son bonnet en signe de remerciement. Ses cheveux<br />

ébouriffés et gras s’étaient échappés, il les avait aplatis d’un<br />

geste rude de la main, avait traversé la salle et était venu<br />

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