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Les yeux jaunes des crocodiles

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Ce matin, Iris avait déjeuné dans la cuisine pendant que<br />

Babette nettoyait le four. Elle entrait et ressortait du four tel un<br />

piston bien huilé.<br />

— Comment tu fais pour être toujours aussi gaie ? avait<br />

demandé Iris.<br />

— Je n’ai rien d’exceptionnel, vous savez ! Y en a treize à la<br />

douzaine <strong>des</strong> comme moi.<br />

— Avec tout ce que tu as vécu ?<br />

— J’en ai pas vécu plus qu’une autre.<br />

— Si, quand même…<br />

— Non, c’est vous à qui il n’est rien arrivé.<br />

— Tu n’as pas <strong>des</strong> soucis, <strong>des</strong> angoisses ?<br />

— Pas du tout.<br />

— Tu es heureuse ?<br />

Babette s’était extirpée du four et avait regardé Iris comme si<br />

elle venait de lui poser une question sur l’existence de Dieu.<br />

— Quelle drôle de question ! Ce soir, on va boire l’apéro chez<br />

<strong>des</strong> potes et je suis contente mais demain est un autre jour.<br />

— Comment tu fais ? avait soupiré Iris, avec envie.<br />

— Vous êtes malheureuse, vous ?<br />

Iris n’avait pas répondu.<br />

— Ben dis donc… Si j’étais à votre place, qu’est-ce que je<br />

rigolerais ! Plus de soucis de fin de mois, plein de blé, un bel<br />

appartement, un beau mari, un beau garçon… Je me poserais<br />

même pas la question.<br />

Iris avait eu un pâle sourire.<br />

— La vie est plus compliquée que ça, Babette.<br />

— Peut-être… Si vous le dites.<br />

Elle avait disparu à nouveau, tête la première, dans le four.<br />

Iris l’avait entendue maugréer contre ces fours autonettoyants<br />

qui nettoyaient rien du tout. Elle avait cru entendre « huile de<br />

coude », suivi de borborygmes et enfin Babette était réapparue<br />

pour conclure :<br />

— Peut-être qu’on peut pas tout avoir dans la vie. Moi je me<br />

marre et je suis pauvre, vous vous emmerdez et vous êtes riche.<br />

Ce matin-là, après avoir laissé Babette dans le four, Iris<br />

s’était sentie très seule.<br />

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