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Les yeux jaunes des crocodiles

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Si seulement elle avait pu appeler Bérengère… Elle ne la<br />

voyait plus et se sentait amputée d’une partie d’elle-même. Pas<br />

de la meilleure part, c’était sûr, mais, elle devait le reconnaître,<br />

Bérengère lui manquait. Ses ragots, l’odeur d’égouts de ses<br />

ragots.<br />

Je la regardais de haut, je me disais que je n’avais rien en<br />

commun avec cette femme-là, mais je frétillais à jacasser avec<br />

elle. C’est comme une furie en moi, une perversion qui me<br />

pousse à désirer ce que je méprise le plus au monde. Je n’y<br />

résiste pas. Six mois qu’on ne se voit plus, calcula-t-elle, six<br />

mois que je ne sais plus ce qu’il se passe à Paris, qui couche avec<br />

qui, qui est ruiné, qui est déchu.<br />

Elle était restée enfermée une grande partie de l’après-midi<br />

dans son bureau. Elle avait relu une nouvelle d’Henry James.<br />

Était tombée sur une phrase qu’elle avait recopiée sur son<br />

carnet : « Quelle est la caractéristique <strong>des</strong> hommes en général ?<br />

N’est-ce point la capacité qu’ils ont de passer indéfiniment leur<br />

temps avec <strong>des</strong> femmes ennuyeuses, de le passer, je ne dirai pas,<br />

sans s’ennuyer mais ce qui revient au même, sans prendre garde<br />

qu’ils s’ennuient, sans en être incommodés jusqu’à chercher à<br />

prendre la tangente. »<br />

— Suis-je une femme ennuyeuse ? murmura Iris à la grande<br />

glace qui recouvrait les portes de son placard.<br />

Le miroir resta muet. Iris reprit alors encore plus bas :<br />

— Est-ce que Philippe va prendre la tangente ?<br />

Le miroir n’eut pas le temps de lui répondre. Le téléphone<br />

sonna. C’était Joséphine. Elle paraissait tout excitée.<br />

— Iris… Je peux te parler ? T’es seule ? Je sais qu’il est très<br />

tard mais il fallait absolument que je te parle.<br />

Iris la rassura : elle ne la dérangeait pas.<br />

— Antoine a écrit aux filles. Il est au Kenya. Il élève <strong>des</strong><br />

<strong>crocodiles</strong>.<br />

— Des <strong>crocodiles</strong> ? Il est devenu fou !<br />

— Ah, tu penses comme moi.<br />

— Je ne savais pas qu’on élevait <strong>des</strong> <strong>crocodiles</strong>.<br />

— Il travaille pour <strong>des</strong> Chinois et…<br />

Joséphine proposa de lui lire la lettre d’Antoine. Iris l’écouta<br />

sans l’interrompre.<br />

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